1. S’agit-il de faire une critique de l’identité et de la volonté d’identité, qui serviraient à cacher (masquer) quelque chose, au sens d’une intention blâmable de dissimulation ? Ou bien s’agit-il de justifier, voire de faire l’éloge, du « masque », et par là de la volonté d’identité qui s’exprime en lui ? N’est-il pas paradoxal que la volonté d’identité s’exprime à travers ce qui en semble l’opposé, la construction d’un masque ?
L’identité n’est-elle (parfois? Toujours?) qu’un masque et une pseudo-identité, ou bien sa recherche inclut-elle une volonté d’aller au-delà du masque, un souci de compréhension de soi et un effort de construction de la personnalité tenant compte des possibles, un compromis au plus près de la vérité? En fin en quoi la question fait-elle écho à des interrogations actuelles portant sur la légitimité de l’identité et de la volonté d’identité à divers niveaux (personnel, national, culturel..), ainsi que sur la possibilité d’identités plurielles( pour une même personne, un même pays..) ?
2. L’identité exprime à la fois la permanence dans le temps, et l’unité de ce qui se maintient permanent, elle est la permanence de cette unité. Dans un monde soumis au devenir et où rien ne demeure identique à soi, l’identité( ou plutôt son désir et sa volonté) trouve refuge dans le langage: les mots sont supposés fournir des définitions stables des choses « telles qu’elles sont ». Ce n’est probablement qu’une fiction, mais une fiction nécessaire, car sans l’identification par les mots qui stabilise les éléments du monde, il n’y aurait ni « monde », ni pensée humaine, ni vie sociale possible. Si maintenant on veut aller au-delà des mots, l’identité ne peut être trouvée que dans des spéculations qui relèvent de la métaphysique et de l’ontologie: les questions sur les rapports de l’un et du multiple, de l’être et du devenir, de l’essence et de l’apparence, de la substance et de ses accidents, ont occupé la philosophie dès ses origines et l’occupent encore; elles sont -au moins logiquement- fondées (car si tout change, il faut bien qu’au moins ce qui change, lui, ne change pas), mais l’identité ainsi présupposée est et reste empiriquement invérifiable. Ainsi de l’identité personnelle: « garantie » par la société (le nom, la carte d’identité), attestée par la reconnaissance des autres (« c’est bien lui »), présupposée dans le rapport de chacun à lui-même (sauf à sombrer dans la maladie mentale), elle n’en échappe pas moins à l’introspection et à toute investigation directe : ce dont nous sommes conscients, c’est de nos états mentaux changeants, non du « moi » qui assure leur cohérence dans le temps.
En quoi dans ces conditions l’identité pourrait-elle être un masque ? Le masque se porte sur le visage. Le visage nu dit et ne dit pas l’identité, en dit trop ou pas assez, et sa lecture par autrui est soumise à l’arbitraire de son appréciation, amicale ou inamicale, etc..Qui plus est le visage change, et l’on retombe sur les difficultés exposées ci-dessus. Dans ces conditions seul le masque semble apte à constituer une approximative identité: elle est fictive, mais posée comme telle, et de toutes façons plus crédible (plus stable, mieux lisible) que l’identité « réelle » qui échappe toujours. C’est ainsi que les artistes se servent de leurs œuvres pour se présenter eux-mêmes: l’œuvre (le tableau, le livre) sert de médiation entre eux et les autres, elle évite la captation( toujours abusive et réductrice) de leur identité dans la simple lecture du visage, elle permet la communication et la circulation des identités sans qu’elles se brouillent, le passage, même fragile, du « moi » au « nous ». Car un être humain est toujours plus complexe que ce que le regard extérieur peut en saisir.
Mais cela ne revient pas à faire l’éloge de l’apparence, car il est des situations - notamment morales -, où l’on ne peut plus se cacher derrière son masque, et où la question de savoir « qui l’on est » est clairement posée.