ATELIER DES IDEES
UNE GUERRE PEUT- ELLE ETRE JUSTE ?
Frédéric Encel,
Docteur en géopolitique et professeur Grandes Ecoles
7 juin 2024 - Villa Médicis
Le Café-philo a été heureux de recevoir Frédéric Encel, bien connu des trouvillais, pour clore le cycle de 3 séances organisées à l'occasion des commémorations du 80 ème anniversaire du débarquement en Normandie.
Dans le cadre de l’atelier des idées, après une séance sur l’engagement et une autre sur la liberté, cette 3 éme séance invitant à une réflexion sur la notion de guerre, ses acteurs, ses enjeux, a captivé près de 40 personnes à la Résidence services Villa Medicis.
La guerre ça tue !
En premier lieu, Fredéric Encel donne des précisions sur ce qu'est une guerre. Ce n'est ni une révolte, ni un soulèvement, ni un conflit.
Le terme de guerre est très largement banalisé de nos jours puisqu'on parle beaucoup de guerre économique, de guerre commerciale ou même de guerre contre le Covid !. C'est ignorer que la guerre renvoie aux notions de vie et de mort qui est toujours violente et donnée par des semblables.
L'ennemi est un semblable et non un concept ou une idée. "C'est le combat entre des ennemis qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais qui n’arrivent pas à se mettre d’accord " comme dit Paul Valéry.
Frédéric Encel poursuit en présentant les caractéristiques d'une guerre juste définies par 4 penseurs de la guerre.
Saint-Augustin est le premier à avoir énoncé 4 vérifications incontournables pour engager une guerre:
-définir la nature de la personne que l’on combat
-définir la nature de la cause du combat. Pourquoi ce combat? Pourquoi ferait-on le sacrifice suprême de sa vie?
-être au clair sur les causes: idéologie, système politique, sentiment de vengeance…La vengeance ou la haine ne sont pas des raisons entendables pour commencer une guerre, par exemple.
-C'est à l'Autorité politique que revient la décision d'une guerre.
Sun Tzu, incroyable stratège et général chinois né au 3è siècle avant J.C., avance 2 conditions à remplir pour qu'une guerre soit juste :
-Elle doit permettre de défendre le bien commun et de protéger les vies humaines et les libertés
-Il convient avant toutes choses de connaître les forces et les faiblesses de l’en nemi et aussi celles de son propre camp.
Saint Thomas d’Aquin pose 3 critères :
- il ne s’agit pas d’ une rixe ou d’une sédition
- Contre des forces extérieures
- Pour défendre un espace commun et faire respecter la loi
Pour Carl Von Clausewitz, la guerre n’est rien d’autre qu’un duel à une plus vaste échelle. Elle doit rester politique. C’est pourquoi les guerres de religion sont grotesques. Les ennemis ne doivent ressentir aucun sentiment, ni peur, ni haine, ni amour, ni vengeance. «La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens.»
Frédéric Encel propose aussi sa propre définition : “la guerre est le recours à l’usage létal, collectif et organisé de la force entre plusieurs puissances et pensé comme tel par les belligérants “.
Frédéric Encel rappelle quelques points d'Histoire utiles pour définir une guerre juste:
Le traité de Westphalie, signé à l’issue de la guerre de 30 ans, introduit l’idée que seuls les états souverains peuvent décider de la guerre et de la paix, donnant naissance à la fonction régalienne des États. C'est l'avènement d’un nouvel ordre international fondé sur l'affrontement d'États désormais souverains et égaux en droit, et participant par conséquent à une stabilisation de l'ordre international après une époque de guerres civiles.
En 1928, la SDN (Société Des Nations) avait mis la guerre hors la loi, sous l’égide de Kellogg et Briand et le Traité de paix de Paris condamne le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renonce en tant qu’instrument de la politique nationale dans leurs relations mutuelles.» C'est une belle utopie politique mais guère lucide.
Quelles sont les grandes tendances actuelles?
De nos jours, on ne déclare plus formellement la guerre. La guerre peut même se faire sans belligérant. On négocie de plus en plus et on a mis en place le droit d’ingérence, qui permet d’intervenir pour protéger les populations même s’il s’agit d’un conflit entre états souverains. Ce droit n'est guère utilisé.
"Pourtant, il existe des guerres justes et ce n'est pas parce qu'on ne peut pas incarner la justesse d'une cause et qu'on ne peut pas intervenir partout où il y a des peuples en danger qu'on ne doit pas entrer en guerre".
Les guerres sont de moins en moins nombreuses et de moins en moins létales car on négocie de plus en plus.
L’arme nucléaire fait aussi que les Etats ont plus à perdre qu’à gagner en décidant d’une guerre.
Il y a actuellement 4 conflits ouverts en 2024 en Afrique ( Congo, Soudan, Tigré, Éthiopie). En 30 ans, la guerre au Congo a fait 7 millions de morts sans réaction de quiconque. Il ne faut pas l’oublier et penser à la guerre russo-ukrainienne qui divise la communauté internationale.
Conclusion
" Nous avons connu 2 sortes de guerres: les guerres justes et les guerres injustes. Nous sommes pour les guerres justes et contre les guerres injustes» a dit Mao Zedong. Il parlait de guerres révolutionnaires qui sont favorables au progrès de l'humanité: 40 millions de morts!
Aujourd’hui, il peut y avoir des guerres justes, notamment das le cadre du droit d’ingérence, pour sauver des populations en danger.
Toutefois, il semble plus approprié, à l’instar de ce qu’avance Christian Carle, de parler de guerre justifiée plutôt que juste.
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