Bonjour à toutes et tous, et merci de votre présence.
Nous sommes tous concernés par la mort, elle nous fait plus ou moins peur et parfois, de savoir que l'on peut choisir sa mort, nous aide à vivre… Certains décident même d’aller à sa rencontre, en choisissant son moment et ses circonstances.
Tout comme l’inceste ou le meurtre, le suicide est un sujet tabou, à tel point qu’il est systématiquement banni de toute conversation. Il est pourtant continûment étudié par de nombreux publics, prouvant que le sujet intéresse.
L’envie de mourir n’est pas un apanage catégoriel. Il touche tout le monde. C’est un phénomène souvent inattendu mais fréquent. Plus d’un million de personnes se tuent chaque année dans le monde. En majorité des hommes, un peu moins de femmes, mais aussi des adolescents et des personnes âgées.
Ce passage à l’acte atteint toujours l’entourage, le laisse meurtri et endeuillé, il réinterroge les liens familiaux, l’histoire de la famille et la place de chacun. Il s’agit d’un deuil traumatique, d’une auto agressivité qui interpelle les proches.
On a coutume de dire que le suicide est un appel au secours mais bien souvent il ne l'est pas.
Les lettres parfois laissées par les suicidés en témoignent. Ils expliquent tantôt longuement, dans une lettre, ce geste réfléchi et souhaité, et permettent ainsi à ceux qui restent de comprendre et de ne pas culpabiliser. D'autres laissent des messages énigmatiques, laissant les proches dans le plus grand désarroi.
De nombreuses causes, peuvent mener à cet acte ultime et définitif ; une maladie, un chagrin d’amour, la solitude, le harcèlement, la dépression, l’endettement, l’idéologie religieuse, une angoisse face à un futur incertain, entre autres…
Un peu d’étymologie et d’histoire
Le mot suicide est du même type étymologique que « homicide », « parricide », etc. : il vient du pronom latin « sui » (de soi-même) et de « cide », de « caedere » (frapper, tuer).
L’usage de ce mot fut utilisé en premier, au 18ème siècle, par le prêtre Desfontaines. Seules deux expressions étaient usitées auparavant : « homicide de soi-même » et « mort volontaire ».
Le terme suicide fut reconnu en 1762 par l’Académie Française. Ce dernier ne s’applique qu’aux actes conscients, libres et volontaires de se tuer.
Nous avons dans notre culture commune populaire des suicidés connus tels que le chanteur Nino Ferrer, l’acteur Patrick Dewaere, le philosophe Gilles Deleuze, le photographe David Hamilton, le chef étoilé Bernard Loiseau, l’écrivain Romain Gary, le peintre Bernard Buffet et bien d’autres encore…
De tout temps et dans toute culture, les humains ont voulu disposer du droit de mourir pour eux-mêmes.
En Inde, les sages en quête de nirvana se suicidaient lors de fêtes religieuses et les veuves les suivaient dans leur bûcher de crémation.
À Athènes, le suicide était puni : le cadavre était privé de sépulture, sa main droite était coupée et enterrée ailleurs.
À Rome, les suicides deviennent nombreux lors de la période dite décadente. La politique tend aussi à encourager le suicide puisque les personnages importants en disgrâce auprès de l’empereur se suicident pour soustraire leurs biens à la convoitise du tyran.
Du 5ème au 19ème siècle, les conduites suicidaires sont condamnées par les religions monothéistes et par les états occidentaux : les suicidaires sont poursuivis de sanctions pénales et les suicidés se voient interdits de certains rites funéraires. En France, Saint Louis établit la première peine laïque. Malgré ces condamnations répressives, des vagues de suicides ou des pensées à l’encontre de la condamnation s’observent à d’autres périodes.
Dans l'ancien droit français, la législation civile s'empare du droit canon et ajoute aux peines religieuses qui sont la privation des derniers sacrements et celle d'une sépulture en terre sacrée, des peines matérielles, généralement confiscation de tous les biens et pas d'héritage aux enfants. Le but est de toucher le défunt, au-delà de lui-même, dans sa famille, le toucher aussi dans son honneur. C'était le cas au 17ème siècle.
Le suicide était interdit mais aussi condamnable. Cette attitude extrêmement sévère persistera jusqu'à la Révolution française. Cependant, le XIX siècle est marqué par la découverte de la psychanalyse et va ouvrir une brèche dans la condamnation des suicidés par l'Eglise, en mettant en avant un facteur nouveau de la personnalité humaine : l'inconscient, qui peu à peu va amener les théologiens à concevoir une nouvelle définition de l'homme. L'Eglise va petit à petit admettre qu'un individu peut subir des pulsions dont il n'est pas le maître. Le suicide perd, dans certains cas, une partie de son caractère volontaire, ce qui diminue sa gravité. Toutefois, jusqu'à il y a une cinquantaine d'années, l'enterrement religieux, s'il était demandé, se faisait toujours très discrètement et sans cérémonie.
Le suicide est-il l’Ultime liberté ?
La question de la liberté de mettre fin à ses jours suscite de nombreux débats philosophiques et éthiques. Actuellement, l'euthanasie et le suicide assisté sont illégaux en France.
Il faut bien différencier les deux :
Le suicide assisté est l’acte de fournir un environnement et des moyens nécessaires à une personne pour qu’elle se suicide. Le médecin prescrit la substance létale, puis la personne se l’administre elle-même.
L’euthanasie est l’acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable.
Malgré leur interdiction, les euthanasies clandestines sont parfois pratiquées et engendrent des affaires judiciaires, notamment celle de Vincent Humbert, ce jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet, après un accident de la route et que sa mère aurait aidé à mourir.
Depuis, ce procès, s’en est suivi des débats et des propositions de loi pour permettre une fin de vie choisie et digne.
La loi Leonetti permet la sédation profonde et continue pour les patients en fin de vie, mais cela reste soumis à des critères stricts. En Europe, certains pays comme, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Espagne ont légalisé l'euthanasie et le suicide assisté, sous certaines conditions.
Le débat en France se concentre souvent sur la dignité, la souffrance et le respect de la volonté du patient. Beaucoup estiment que chacun devrait avoir le droit de choisir les conditions de sa propre mort, surtout en cas de maladie incurable ou de souffrance insupportable.
Robert Badinter, lors des débats sur la loi Leonetti en 2008, affirmait que « la liberté de se suicider » est inhérente au droit de disposer de son corps et de sa vie ». Cependant, cette vision ne tient pas uniquement compte de la décision individuelle. Voici quelques points à considérer :
En premier lieu, l’autonomie et la souffrance : Le geste suicidaire peut être perçu comme une tentative de maîtrise face à la souffrance. La liberté de choisir du suicidant est souvent entravée par une détresse psychique profonde.
Ensuite, le lien social : Le taux de suicide reflète l’état du lien social dans une société. Même dans les pays où la mort médicalement assistée est autorisée, la prévention du suicide reste essentielle. La loi exige d’ailleurs de porter assistance à une personne en danger, même lorsque ce danger émane d’elle-même.
Et pour finir, le contexte : Le suicide est un drame personnel, familial et sociétal. Dans les situations de fin de vie, il peut être présenté comme l’expression ultime de la volonté et de la liberté individuelles, visant à prévenir la souffrance et l’indignité.
D’une part, on peut affirmer que la liberté ultime réside dans le contrôle de sa vie, y compris la décision d'y mettre fin. Les individus devraient avoir le droit de choisir quand et comment ils quittent ce monde. Cette perspective met l'accent sur l'autonomie personnelle et l'autodétermination.
D'autre part, les opposants à ce point de vue soulignent que la véritable liberté implique de trouver un sens et un but même dans la souffrance. Ils pensent qu'embrasser la vie, malgré ses difficultés, est une expression plus profonde de la liberté. Pour eux, le suicide représente une perte tragique d'expériences et de croissance potentielles.
Certains soutiennent que la douleur émotionnelle peut être transitoire et améliorée par la thérapie et les changements de mode de vie, tandis que d'autres sont confrontés à des maladies incurables ou à des maladies mentales à vie, qui rendent la résolution difficile.
Les philosophes et le suicide :
Le sujet a été abordé par de nombreux philosophes à travers l'histoire, chacun ayant des perspectives différentes.
La grande majorité d’entre eux sont favorables au suicide :
Ainsi, le philosophe grec Épicure, soutenait que si le bonheur de la vie prend fin, une personne libre peut choisir le suicide pour échapper à ce monde mortel. Il recommande l’ataraxie, qui est la réflexion calme et sereine, ainsi que le choix du moment opportun.
Les philosophes stoïciens, dont Sénèque, croyaient en la liberté individuelle et considéraient le suicide comme un choix de mettre fin à sa vie volontairement. Ils voyaient cela comme un acte de sagesse et de courage dans certaines circonstances, notamment pour éviter la souffrance ou la perte de dignité. Selon lui, « penser à la mort, c’est penser à la liberté ».
Dans son essai "Sur le suicide", le philosophe écossais, Hume, défend le droit de l'individu à mettre fin à ses jours, arguant que le suicide ne viole ni les lois de la nature ni celles de Dieu et libère le suicidaire de toute tutelle religieuse. Il réfute toutes les raisons couramment alléguées pour nous priver de notre liberté naturelle de disposer de nos vies.
Pour ce qui est de David Benatar, le philosophe sud-africain aborde le sujet en termes d’antinatalisme. Etant donné que les êtres humains n’ont pas le pouvoir d’agir au moment de leur naissance, personne ne devrait avoir autorité sur la décision d’une personne de continuer à vivre ou de mourir.
Montaigne, en 1850, dans Les Essais, déclare : « Qui apprendrait aux hommes à mourir, leur apprendrait à vivre » car la mort « ne vous concerne ni mort, ni vivant : vivant parce que vous existez, mort parce que vous n'existez plus ».
En ce qui concerne Jean-Paul Sartre, l’existentialiste, celui-ci perçoit le suicide comme une possibilité humaine parmi d'autres, mais il insiste sur la responsabilité individuelle et la liberté de choisir sa propre voie, même face à l'absurdité de l'existence.
De son côté, André Comte-Sponville, lui, se positionne ainsi : « Ce que je peux demander à la société, ce n'est pas l'autorisation de me suicider, mais les moyens de le faire, y compris, le cas échéant, quand je ne peux plus, seul, y parvenir ».
A l’opposé, quelques philosophes ont exprimé des opinions défavorables au suicide, souvent en raison de considérations éthiques, religieuses ou sociales.
Dans son essai philosophique "Le mythe de Sisyphe", Camus commence par cette phrase : "Il n'y a qu'un seul problème philosophique vraiment sérieux, et c'est le suicide". Selon lui, il est préférable d'embrasser la vie avec passion plutôt que de s'en échapper par des illusions ou par la mort. Il explore l'absurdité de la vie et la question de savoir si la prise de conscience de cette absurdité justifie le suicide. Pour Camus, la réponse est non.
Platon considère la mort volontaire comme une violation du devoir envers les dieux et la société. Dans son dialogue "Phédon", il soutient que la vie est sous la garde des dieux et que l'homme n'a pas le droit de s'y soustraire prématurément. Tandis qu'Aristote le considère comme un acte de lâcheté et une injustice envers la société.
Spinoza, quant à lui, ne perçoit pas le suicide comme l’expression de la liberté, mais comme la conséquence d’un état de servitude de l’homme soumis à des causes externes qui s’opposent à l’effort pour persévérer dans l’être.
René Descartes, lui, rejette le suicide en affirmant que même parmi les plus tristes accidents et les plus pressantes douleurs, on y peut toujours être content, pourvu qu’on sache user de la raison ».
La perception du suicide a évolué au fil du temps et les opinions divergent toujours. Dans le contexte contemporain, il est souvent vu sous l'angle de la santé mentale et du bien-être psychologique, où l'acte est généralement associé à une détresse profonde et une perte de sens.
Mettre fin à ses jours est une violence retournée contre soi-même comme un acte dont l’évidence s’impose. Pour autant, jamais une morale ne pourra juger de l’événement individuel. Il est de l’ordre du mystère, et jamais on ne pourra le comprendre et le réduire à une explication. Les discours moraux et les idéologies ne montrent qu’impuissance pour en parler, avec ces deux extrêmes qui consistent à l’enfermer dans la seule dimension de l’échec ou bien de l’observer comme une expression de pure liberté.
Le suicide n’est pas considéré comme un crime ou un délit. Il n’est plus réprimé en France depuis le Code Napoléon de 1810. Dès lors, la question est de savoir si le silence du Code pénal donne le droit à l’ultime liberté de se supprimer…
コメント