Du point de vue des belligérants, la guerre qu’ils mènent est toujours juste, sinon ils n’y engageraient pas leur vie; cependant, justifier une guerre n’est pas pour autant la rendre juste, et l’idée de justice est plus qu’une affaire d’opinion( sinon il faut renoncer à philosopher à ce sujet). La question de savoir si et quand une guerre est juste est plus que jamais d’actualité, car les principales guerres engagées par les démocraties récemment ou actuellement( en Irak, en Afghanistan, en Libye) se font toutes au nom de la justice. Est-ce réellement le cas?
Du point de vue de la justice idéale, aucune guerre n’est juste, puisqu’il s’agit de tuer. Dans une approche plus retreinte de l’idée de justice, on peut néanmoins considérer comme juste une guerre purement défensive, menée en réaction à une agression caractérisée par un camp (peuple ou fraction de peuple) qui n’a rien à se reprocher, et qui est en position de pure victime. De tels cas sont rares en histoire, mais ils existent(qu’avait fait la Pologne aux allemands en 1939 pour qu’ils l’envahissent?); et il n’est pas à ce point difficile de démêler les torts respectifs et de repérer la mauvaise foi de l’agresseur qui se pose en victime, qui voudrait faire passer les victimes pour des bourreaux et les bourreaux pour des victimes.
Cependant il ne suffit pas que l’entrée en guerre soit juste, il faut aussi que le soit son déroulement et la paix qui y met un terme. Si l’agressé en position de légitime défense emploie pour sa défense des moyens disproportionnés, et si, en cas de victoire, il impose au vaincu des conditions inacceptables, peut-on encore dire que sa guerre est juste? Car dans une guerre menée de cette façon, il devient possible à l’agresseur initial de se présenter à son tour comme une victime, et de brouiller les repères.
Et cependant la guerre est la guerre, et si l’agresseur est intervenu avec des moyens disproportionnés, la riposte doit être à la hauteur, et l’agressé a droit à l’emploi de tous les moyens pour se conserver en vie. C’est pourquoi, comme le dit Kant, « il ne doit y avoir aucune guerre » , car la guerre pervertit toutes les notions, et le grand vaincu de toutes les guerres, c’est l’idée de justice( chose d’autant plus vraie avec les guerres modernes et l’emploi toujours plus perfectionné des moyens de destruction).
C’est pourquoi, même si l’on concède qu’il peut y avoir des guerres justes, tout doit être mis en œuvre pour éviter les guerres, et pour convaincre les peuples, et surtout leurs gouvernants( car les peuples, qui en assument le plus gros des frais, ne veulent pas la guerre et la font presque toujours malgré eux), qu’ils doivent tout mettre en œuvre pour trouver une solution aux conflits pas le droit. Il n’y a pas de vertus guerrières, et la guerre, qu’elle soit juste ou non, est toujours détestable. La fascination pour la guerre, l’éloge de la guerre qu’on entend encore faire ici et là, en dépit de toutes les leçons des guerres passées, sont des imbécillités. Toutes les guerres sont des faillites de la raison, qui font régresser les hommes dans l’animalité. Quant au courage, il consiste non à n’avoir pas peur de tuer ou de se faire tuer, mais, selon la définition donnée par Socrate, dans le discernement des choses qui sont à craindre et qui ne sont pas à craindre. Et ce qui pour un homme est à craindre par dessus tout, c’est le goût de la violence et la libération de ses instincts meurtriers autorisée par la guerre- la défaite de la raison.