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cafephilotrouville

L'homme a-t-il une autre nature que celle que sa culture lui enseigne ?

Tel quel le sujet est difficilement lisible: une « nature » est donnée et ne saurait être enseignée, et la culture vise seulement à produire une « seconde nature » qui ait la stabilité de la première sans en avoir la rigidité. La nature d’une chose étant ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, on ne peut la changer sans la corrompre, ni sans faire de la chose autre chose; or la culture qui façonne l’humanité non seulement ne fait pas des hommes autre chose, mais c’est par son action que les hommes sont des hommes, comme l’attestent les observations bien connues sur les « enfants sauvages ». En sorte que si l’on peut dire que la culture modifie la « nature » de l’homme, c’est seulement en référence à ce qu’il y a de biologique en lui. Pour le reste, l’expression de « nature humaine » n’a de sens que pour désigner le terme visé par l’action de la culture, la réalisation d’une humanité achevée et devenue pleinement humaine.

C’est pourquoi les métaphores empruntées à l’agriculture pour caractériser l’action de la culture sur l’homme sont impropres, car la culture du sol ne fait qu’actualiser les propriétés des plantes qu’il porte, alors que l’humanisation de l’homme par la culture produit des résultats qui n’étaient pas programmés au départ, et qu’il est impossible d’expliquer par la seule constitution biologique.

Mais si la culture humanise l’homme, elle peut parfois aussi le déshumaniser. D’où la nostalgie d’une nature humaine originelle perdue, et d’où la tentation d’un « retour à la nature », supposée porteuse d’une sagesse supérieure aux acquis de la culture humaine (tentation sensible chez Rousseau); cependant, s’il y a du sens dans les avertissements de l’écologie, nous n’en sommes plus à croire que la nature soit porteuse d’une sagesse quelconque, et il faut garder à l’esprit que l’injonction des stoïciens à « vivre selon la nature », signifie en fait « vivre selon la raison », la nature selon eux étant régie par une grande Raison, le logos ordonnateur du Tout.

Mais pour en revenir au sujet, il prend un sens plus précis si dans son libellé on remplace « enseigne » par « inculque » et si d’autre part on considère le mot « sa » dans « sa culture »; on peut alors le traduire ainsi: dans une culture et une société données, les individus sont amenés à se construire d’après des normes auxquelles ils n’adhèrent qu’imparfaitement, et qui au moins pour certains ne leur correspondent pas.

Est alors posée la question du genre et de l’obligation de se conformer aux représentations et aux clivages qui le définissent, obligation qui peut être mal vécue, si les comportements liés au genre s’imposent avec l’évidence d’une « nature ». On peut être femme et se sentir homme ou l’inverse, comme on peut être homme ou femme et, sans vouloir changer de sexe, se sentir mal à l’aise dans les modèles culturels de ce qu’un homme ou une femme doivent être.

Plus généralement, le sujet ainsi compris interpelle sur la question de l’identité: l’expérience sociale et l’inscription culturelle suffisent-elles à la contenir? Deux réponses sont possibles: soit nous sommes la somme de nos actes et une vie n’est rien d’autre que ce que l’on en a fait; soit une vie contient des possibles inaccomplis, ou accomplis seulement pour nous et à nos propres yeux, et c’est là que gît notre véritable identité. La première réponse est morale, mais quelque peu rigoriste (nous n’avons pas d’excuse, pas de position de repli) ; la seconde, plus ouverte et humaine, plus poétique aussi, nous dit que la société n’est pas tout, et qu’il ne faut pas trop se hâter de juger d’une vie d’après les critères de sa société( cf le sujet précédent sur la question de la réussite)- avec toutefois le risque d’introduire de l’ineffable et de donner corps à des chimères.A chacun de choisir..

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