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La métaphysique produit-elle des connaissances ?

La métaphysique est la partie de la philosophie qui se propose de fournir une explication complète du monde à partir des premiers principes, au moyen des seuls concepts de la raison, sans recours à l’expérience, et sans faire appel à une vérité révélée-ce qui la distingue de la théologie. C’est donc la « science des principes », la « philosophie première » qui donne ses fondements à toutes les autres parties de la philosophie. Première en droit, elle l’est aussi chronologiquement, et les premiers penseurs occidentaux, les pré-socratiques, ont été à leur manière des métaphysiciens dans la mesure où ils s’interrogeaient sur l’être, ce qui est véritablement, par opposition à l’apparence, au devenir, ou au non-être.

L’élaboration de la métaphysique revient à Platon et à sa doctrine des Idées, à sa conception d’un monde supra-sensible vrai et éternel, connu par la seule raison ou au moyen d’une illumination parachevant le raisonnement (comme il est dit de l’Idée du Beau dans Le Banquet); et ce, bien que le terme de « métaphysique » n’apparaisse que pour certains écrits d’Aristote réunis sous ce terme. Mais l’âge d’or de la métaphysique coïncide avec l’apogée de la raison classique, au 17ème siècle, et est associé aux noms de Descartes, Spinoza, et Leibnitz.

Le déclin de la métaphysique commence avec Kant dont l’ouvrage « La critique de la raison pure » établit sans appel l’impossibilité d’une connaissance par raison pure, sans apport de l’intuition et de l’expérience, sauf le cas singulier des mathématiques. Et ce déclin s’accentue ensuite, avec l’essor du positivisme et du rationalisme des Lumières, malgré le chant du cygne des philosophies de Hegel, de Schopenhauer, et plus près de nous de Heidegger (qui tout en se défendant de faire de la métaphysique n’en poursuit pas moins une méditation sur l’être qui échappe à tout contrôle par l’expérience).

On peut considérer aujourd’hui que la métaphysique est morte et que les grands systèmes métaphysiques appartiennent au passé, qu’il est devenu impossible de faire coïncider ordre du connaître et ordre de l’être, et qu’il faut renoncer à la construction d’un savoir absolu. Cela ne signifie pas que la connaissance est devenue impossible, mais que, affranchie de la dépendance à des fondements ultimes, elle se borne aux seuls phénomènes (tels qu’ils se présentent dans l’expérience), et que tous nos savoirs sont révisables. D’une certaine manière, c’est une bonne nouvelle, même s’il est douloureux de renoncer à la prétention à une vérité absolue.

Mais que la métaphysique soit morte en tant que système ne signifie pas que l’expérience métaphysique le soit aussi. Et si l’on entend par « métaphysique » ce qui porte la raison à dépasser les limites qu’elle s’est donnée elle-même et à chercher, par une curiosité légitime (mais sans pour autant se renier et chercher des réponses dans la croyance) à aller plus loin non pour connaître, mais pour donner du sens et comprendre,- alors il faut dire qu’il existe des objets, des entités, des êtres, des situations, qui sont métaphysiques, et que la confrontation avec eux constitue l’ordinaire de la condition humaine. Citons pêle-mêle: l’existence( pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien?), le temps( quel genre d’être est-ce?), le sujet, le moi( quel est son statut alors que sa permanence est posée sans preuve possible?), la possibilité d‘une fin de l‘histoire(au sens d‘un achèvement de la société, devenue aussi satisfaisante que possible)... Rien ne saurait empêcher la spéculation sur ces questions, qui correspond à un intérêt légitime de la raison, même si elle ne débouche sur aucune réponse certaine.

Enfin il apparaît que les sciences de la nature elles-mêmes ne peuvent se passer de propositions métaphysiques pour encadrer leurs recherches: les théories les plus générales sont des interprétations du monde, non des descriptions, et la plupart des enoncés de la physique actuelle se traduisent en formules mathématiques qui n’ont aucun répondant possible dans l’expérience.

Il y a donc encore de beaux jours, sinon pour la métaphysique constituée, du moins pour l’usage spéculatif de la raison. L’important étant que cet usage ne donne pas lieu à des illusions quant à un éventuel pouvoir de connaître qui lui serait associé, que son abus n’en vienne pas à obscurcir les tâches concrètes qui se posent à l’humanité, et qu’il n’en vienne pas non plus, par le retour d’une tentation où tombe aisément l’esprit humain, à proposer une formule achevée de la condition humaine, avec les traductions idéologiques et les dérapages politiques dont le siècle écoulé a fait la sinistre expérience.

Lectures: Nayla Farouki « La métaphysique » Flammarion, collection Dominos

(pour une initiation. L’auteur, de formation scientifique, propose d’intéressants rapprochements entre science et métaphysique)

Heidegger « Qu’est-ce que la métaphysique? » Nathan

(introduction à la métaphysique à partir d’une méditation sur une entité métaphysique, le néant. Difficulté moyenne mais lecture facilitée par un bon commentaire et un appareil de notes).

Kant « Prolégomènes à toute métaphysique future » Vrin

( Résumé de la Critique de la raison pure. Plutôt difficile mais bien plus accessible que la Critique elle-même -et évidemment essentiel!)

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