L'essentiel désigne ce qui appartient à l'essence d'une chose, ce qui la qualifie en propre , ce sans quoi elle ne pourrait exister, comme lorsqu'on dit que l'essence de l'homme réside dans la pensée. Dans la langue philosophique classique, l'essence des choses créées préexiste dans l'entendement divin à leur création effective. Mais que l'on n'admette plus aujourd'hui cette conception ne signifie pas qu'il n'y ait plus rien d'essentiel, et le terme reste employé pour désigner ce qui compte plus que tout ou ce qui compte avant tout, le primordial ou le prioritaire, et on l'emploie aussi dans un sens restreint pour désigner ce qui est important et qu'il faut dégager de l'accessoire (dire l'essentiel, retenir l'essentiel d'un propos, d'un compte-rendu, d'une situation).
La confusion qui s'attache au terme tient à son double sens : ce qui est prioritaire n'est pas forcément primordial, veiller à sa conservation et assurer les besoins élémentaires de la vie est prioritaire, mais ne constitue pas pour autant le but de la vie, seulement la condition de son épanouissement. Une autre source de confusion résulte du singulier du terme : y a-t-il un essentiel commun à tous, ou bien ce qui est essentiel est-il laissé à l'appréciation de chacun ? Le bonheur semble bien concilier les deux, mais si sa recherche est commune à tous, les voies qu'elle emprunte sont si singulières qu'elle ne permet guère de clarifier la notion d'essentiel.
Pour dégager l'essentiel des multiples engagements de la vie où il se propose, il faut souvent que les circonstances y obligent. Ainsi la guerre rend désirable l'état de paix, dont les bienfaits étaient jusque là sous-estimés ; ainsi encore, les aléas de la vie personnelle peuvent amener à sacrifier certains attachements pour se consacrer à l'essentiel, dans les deux sens du terme ,soit qu'on se replie sur les fondamentaux( la santé, la préservation de la famille, etc..), soit que, au nom de valeurs tenues pour essentielles, comme la liberté, on soit prêt à sacrifier les fondamentaux en question. Les conceptions de l'essentiel peuvent donc varier, d'une personne à l'autre, comme pour une même personne selon les circonstances.
Cela ne veut pas dire pour autant que l'essentiel relève d'une appréciation purement personnelle et subjective. Dans une perspective idéale, il serait essentiel que tous les membres d'une société y trouvent leur place et les conditions de leur épanouissement, qu'ils puissent vivre ensembles en bonne harmonie et accéder à la « vie bonne » ,selon la formule d'Aristote. Il y aurait bien alors compatibilité entre un essentiel commun à tous- une société en ordre de marche, réglée par de bonnes institutions-, et un essentiel personnel ; et la question « qu'est-ce que l'essentiel ? » pourrait trouver une réponse précise.