top of page
cafephilotrouville

Qu'est-ce que l'émancipation ?

Dans son sens actuel - à distinguer du sens antique où l'émancipation est l'acte juridique par lequel le maitre lève la main-mise sur son esclave qui redevient un homme libre-, l'émancipation est un terme qui appartient au vocabulaire des Lumières : il s'agit de se libérer d'une tutelle qui fait obstacle à la liberté de penser et d'agir, et de sortir par là de l'état de minorité où cette tutelle maintient. La tutelle peut-être celle des institutions (l’Église, le pouvoir monarchique), ou des mœurs (état de minorité des femmes) et en sortir passe par la conquête de droits nouveaux( tels ceux de la Déclaration de 1789). Mais plus profondément, elle passe par l'apprentissage de la liberté de penser et l'aptitude à se servir de son propre entendement. La libération est donc aussi bien extérieure qu'intérieure, et cultiver sa propre raison-plutôt que de s'en remettre à celle d'autrui, ce qui est contraire à la vocation de la raison- suppose, d'une part, qu'on puisse le faire sans danger ni crainte, et d'autre part que la raison personnelle encore tâtonnante soit fortifiée par l'acquisition de connaissances – d'où le rôle de l'instruction publique et de la diffusion des livres qui ,tels l'Encyclopédie de Diderot, mettent ces connaissances à la portée de tous. Une condition tout aussi importante est la formation d'un esprit public, où les individus confrontent leurs idées, et par lequel ils acquièrent le sentiment de leur force et de leur capacité à peser dans le débat pour faire changer les choses.

L'émancipation qui se constitue ainsi est celle des individus comme des peuples, et elle débouche sur la démocratie et l'exercice des libertés publiques, tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Un point important à souligner est que l'émancipation n'est jamais achevée. Il ne suffit pas de s'affranchir d'une tutelle, il faut encore apprendre à pouvoir s'en passer, et la liberté acquise reste une liberté vide sans le travail de libération qui la suit, et qui peut être long et pénible. S'affranchir de certains préjugés peut conduire à tomber dans d'autres, et il peut être imprudent de rompre avec une tradition en présumant de ses forces, et sans s'être assuré que ce par quoi on la remplace est meilleur.

Un éclairage sur ce point est donné par l'exemple de communautés implantées sur le sol national et désireuses d'y vivre en paix, et dont on voit la difficulté à s'arracher à une tradition religieuse qui les structure et à répondre à l'injonction de laïcité. Sur un plan plus théorique, l'émancipation du travail, pour une humanité formée par et pour le travail, n'est pas chose si simple. Et l'on pourrait aussi évoquer les ambigüités de l'émancipation des mœurs.

Aussi bien est-il souhaitable d'envisager l'émancipation non comme une rupture, mais comme un processus qui doit être accompagné, à l'exemple de l'éducation des enfants par leurs parents. Il y a des émancipations inopportunes ou prématurées, et la fringale d'émancipation qui porte à s'affranchir de toute tutelle , quand bien même elle serait des plus nécessaire, et qui atteint aujourd'hui jusqu'à nos représentations de l'enfance, n'est pas forcément bienvenue. Croire que l'on peut sans grand effort et à moindres frais s'affranchir des préjugés, atteindre aux bénéfices de l'émancipation, et penser par soi-même, c'est là encore un préjugé dont il faut s'émanciper.

0 vue0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page