La confiance en soi dépend de la réussite de nos entreprises, et la réussite de nos entreprises dépend de la confiance en soi. Comme il faut bien commencer, on décidera donc d'avoir confiance en soi, sans attendre les raisons. C'est ainsi que le petit enfant a confiance en lui parce qu'il est aimé, sans qu'il y ait lieu de se demander pourquoi il est aimé.
La confiance en soi inclut la confiance en l'autre, parce que de cette dernière dépend largement la réussite de nos entreprises ; mais les deux ne sont pas de même nature : la confiance en l'autre est conditionnelle et peut toujours être révisée, là où la confiance en soi est liée à la préférence à soi, sans laquelle on ne peut avancer dans la vie. Elle suppose néanmoins l'usage normal de nos facultés, et une connaissance de soi suffisante pour n'engager nos forces que là où la réussite est possible .
Il arrive pourtant, au déni de la morale, que la présomption soit récompensée, et qu'un individu qui, sans preuves, se croit investi d'un grand destin, trouve à la faveur des circonstances de quoi le réaliser effectivement : tel fut le cas de Bonaparte avant d'être Napoléon. Certes il s'agit là d'une exception qui confirme la règle - la déconfiture ordinaire du présomptueux -, cependant le débat fournit des exemples de gens qui, pour avancer dans leurs projets, inspirent confiance en surjouant la confiance en eux-mêmes et en leurs capacités (sur le marché du travail, cela s'appelle « se vendre ») ; et il arrive que ceux à qui on fait crédit de cette manière se montrent dignes de la confiance qu'on leur accorde.
C'est que la confiance en soi rejoint la confiance dans les autres et la confiance plus générale dans les possibilités de la vie. Rien n'est figé ni définitif, ce que l'on est n'est pas défini une fois pour toutes, et il est raisonnable de faire confiance et de ne pas désespérer d'avance de soi et du monde. On sait qu'en politique comme en économie, tout repose sur la confiance, et que la première urgence est de l'établir, ou de la rétablir ; il en va de même pour les individus, et l'on peut toujours plus que ce que l'on croit qu'on peut ; encore faut-il trouver l'entourage et les circonstances favorables, et la chance a son rôle à jouer.
Mais si la vie pratique marche à la confiance, il n'en va pas de même pour la vie intellectuelle, inséparable de l'esprit d'examen et d'une saine défiance de soi ; l'opinion est toujours première, et doit être rectifiée ; il ne s'agit ni d'être dogmatique ni d'être sceptique, mais de tenir la balance entre les deux, d'être assez sûr de ses idées pour les défendre, mais jamais assez sûr pour s'épargner la confrontation avec celles des autres, et rectifier les siennes au besoin.
Confiance limitée donc, sauf toutefois en ce qui concerne la confiance en la raison, et en sa capacité de se critiquer elle-même sans sortir d'elle-même ; car si l'on peut bien douter de son usage, douter de la raison revient à valider des formes de pensée qui promettent sans preuves un au-delà de la raison, et qui, pour séduisantes qu'elles soient, sont souvent dangereuses et incertaines. Et si la vie intellectuelle a quelque chose d'aride, à cause de la distance à soi qu'elle impose, à tout prendre on risque moins de s'y perdre que dans des élans qui exigent toujours plus ou moins le sacrifice du jugement personnel.