Les problèmes actuels de la politique ne relèvent-ils pas d'une crise de la philosophie politique ?
La politique est l'art de gouverner, et gouverner c'est prévoir. Prévoir se dit à court, moyen, ou long terme. Quand on est, comme on dit, « aux affaires », le principe de réalité s'impose, et à tendance à privilégier le court terme. La politique devient alors l'art des possibles, entre lesquels il faut choisir, en tenant compte de ses alliés, de ses adversaires, et de l'opinion publique. En démocratie, l'opinion publique a une grande importance, c'est d'elle que dépend le maintien au pouvoir et les chances de réélection.
On parle aujourd'hui volontiers de l'impuissance du politique et de la classe politique, car leur marge de manœuvre est étroite. On évoque l'absence de « vision ». A quoi tient cette impuissance et cette absence ? Faut-il y voir l'indice que les centres de pouvoir ne sont plus dans l’État, mais dans l'économie ? Faut-il le référer à une absence de volonté politique, elle-même liée à une carence de philosophie politique capable d'inspirer cette volonté ?
La philosophie politique tourne autour de la question du pouvoir, de son fondement, de son siège dans l’État ou hors de l’État, des types de régime politique selon qu'il est concentré entre les mains d'un seul ou non, de sa division entre exécutif, législatif, et judiciaire et de l'équilibre de cette répartition, des moyens de le renforcer ou de le limiter, etc... Les principaux ouvrages de philosophie politique sont, pour l'antiquité, « La politique » d'Aristote et « La République » de Platon, pour la période classique « Le prince » de Machiavel et les théories du contrat de Hobbes et Rousseau, ainsi que « L'esprit des lois » de Montesquieu, pour la période moderne « De la démocratie en Amérique » de Tocqueville, et plus récemment, la « Théorie de la justice » de Jhon Rawls.*
La crise actuelle de la philosophie politique, si crise il y a, tient à ce qu'on ne sait plus au juste où est le siège du pouvoir, dans l’État ou dans des institutions supra-étatiques, dans le politique ou dans l'économie (voire dans les médias), dans la société civile ou chez ses représentants élus, chez ces derniers ou dans l'administration de l’État.
En principe, le peuple est souverain, en fait il est manipulé ; et la notion de volonté générale, que Rousseau avait placé au coeur de l'exercice du pouvoir, se dissout en une multitude de volontés particulières. Que veut le peuple ? Vivre et bien vivre, plutôt qu'exercer le pouvoir, et dans ces conditions le siège du pouvoir se déplace du politique à l'économie, plus propre à répondre aux attentes populaires. Mais l'économie n'exerce le pouvoir qu'en sous-main et de façon occulte, elle est et elle n'est pas un pouvoir, et l'on n'a jamais remarqué que les producteurs et consommateurs de base siègent aux conseils d'administration et y aient voix au chapitre.
Il en va de même au Parlement et dans les diverses assemblées politiques, confisquées par des notables. Dans ces conditions, la souveraineté est dévoyée, et le pouvoir, dans les diverses formes où il s'exerce, est illégitime. Le rapport gouvernants/gouvernés tend à devenir un rapport dominants/dominés.
Le problème, c'est qu'il n'est pas sûr que les dominés veuillent échapper à leur domination, et que l'émancipation politique soit le premier de leurs soucis. Pour le tester, il faudrait que se présente à eux l'occasion d'exercer le pouvoir, et, depuis le déclin du socialisme et du marxisme, il n'existe plus de grand récit capable de mobiliser les énergies et de laisser entrevoir une alternative.
Le débat se conclut sur une perspective désenchantée, celle d'une catastrophe liée à l'effondrement du capitalisme de par ses propres excès, et apparemment seule capable de faire émerger de nouveaux rapports de forces...
*Marx n'est pas à proprement parler un penseur de la philosophie politique, puisqu'il prône le dépérissement et à terme la disparition de l’État.
*Marx n'est pas à proprement parler un penseur de la philosophie politique, puisqu'il prône le dépérissement et à terme la disparition de l’État.