Compte rendu de la séance du 29 octobre
Dans son introduction Daniel rappelle les moments clés où la philosophie a défini les grands types de constitutions et les différentes conditions relatives au régime particulier de la démocratie. Aristote définit trois types de gouvernement : la monarchie, le gouvernement d'un seul ; l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs ; la démocratie le gouvernement du peuple par le peuple. Mais il analyse également, analyse reprise et approfondie par Montesquieu, les dégénérescences de ces trois régimes : la tyrannie ; l'oligarchie et la ploutocratie ; le populisme et la démagogie (ochlocratie en termes savants). Avec la naissance des États-Nation-territoriaux après le traité de Westphalie de 1648 au sortir des guerres de religion, les philosophes politiques réfléchissent sur le problème de la souveraineté et sur la légitimité du pouvoir pour conjurer la violence des guerres civiles religieuses et l'établissement d'un État de droit qui est d'abord un État de sûreté avec Bodin, Hobbes et Locke. L'étape suivante illustrée surtout par Montesquieu et Rousseau consiste à réfléchir sur les conditions de perpétuation de la démocratie. Le premier, Montesquieu, montre la nécessité de la séparation des pouvoirs et que ces derniers se limitent mutuellement. Le second, Rousseau, montre que le Contrat social implique l'abandon des volontés particulières au profit de la volonté générale qui fonde la souveraineté populaire. Les Lumières admirent évidemment les démocraties de l'Antiquité grecque mais se posent la question de la représentation des citoyens dans des pays dont la population 1000 fois plus nombreuse que celle d'Athènes.
La discussion fait apparaître la nécessité de distinguer la politique du politique. Le politique c'est fondamentalement la question de la Constitution. La politique c'est la conduite au jour le jour des manœuvres, alliances et politiques de communication nécessaires à la mise en œuvre d'un programme politique. Les philosophes ont apporté une contribution décisive sur la question du politique, c'est-à-dire de la Constitution ou encore de l'organisation des pouvoirs législatifs, judiciaire et exécutif. La politique à notre époque est de plus en plus médiatisée pour devenir politicienne. Les interventions des philosophes médiatiques s'avèrent alors le plus souvent catastrophiques et consternantes. La politique proprement dite nécessite des compétences et de l'habilité que ne possèdent pas en général les philosophes perdus dans les nuages et l’irresponsabilité. Par ailleurs la médiatisation de la société substitue à l'échange d'argumentations rationnelles des postures voire des injures qui portent gravement atteinte à la liberté et à l'autonomie de réflexion des citoyens et ridiculisent les philosophes qui se prêtent à ces jeux du cirque au détriment du prestige de la philosophie. Cette dégénérescence du politique en politique politicienne et médiatique est illustrée de manière tragique par l'opposition du Marx philosophe au Lénine politicien avec les dérives totalitaires qui s'en sont suivies et par les compromissions de Heidegger avec le nazisme.
La discussion fait apparaître une crise de la philosophie qui se surajoute aux crises généralisées de notre société, crise politique, crise économique, crises écologiques etc. On constate aujourd’hui ainsi l'absence de grands philosophes à l'image de Sartre, de Michel Foucault, de Pierre Bourdieu qui pourraient éclairer les engagements politiques des citoyens et les inviter à penser par eux-mêmes. C'est ce que Michel Foucault appelle le franc-parler. Le courage exigé du philosophe lui fait risquer sa vie comme le montre Socrate, mais également Thomas More ou à moindre degré sa liberté comme Platon ou Voltaire. De manière abrupte Jean Christian déduit de la crise de la philosophie qu'il n'existe plus de philosophes contemporains pour penser quoi que ce soit. Et par ailleurs les philosophes du passé, à commencer par Karl Marx, se sont trompés. En conséquence les philosophes sont plus nuisibles qu'utile. Les citoyens sont par ailleurs échaudés dans la mesure où les grands philosophes précédemment mentionnés se sont avérés des "idiots utiles" aveugles sur le totalitarisme communiste ou sur l'intégrisme musulman. Au lieu d'être des modèles de pensée rigoureuse ils s'avèrent de mauvais maîtres ou des propagandistes qui font fi de la vérité et du courage. Pour Bernard la question de l'utilité de la philosophie dénote un utilitarisme qui dénature la philosophie. Si la philosophie se met au service d'intérêts particuliers elle trahit l'intérêt général et donc sa vocation à rendre compte de l'universel et de l'absolu. Pour Philippe l'utilité fondamentale de la philosophie consiste à sommer chaque citoyen de penser par lui-même sans qu’il se laisse abuser par la propagande et les promesses mensongères des candidats aux élections.
Toute une discussion se développe sur la nécessité de penser les inégalités sociales du point de vue de la philosophie politique. La philosophie permet alors de montrer que la plupart des doctrines économiques reposent sur des présupposés idéologiques moraux et politiques qu’il convient de relativiser et de problématiser. Dès lors la question se pose de savoir si la philosophie n'est pas déclassée par rapport aux sciences sociales. Ces dernières disputent en effet à la philosophie le titre de la science suprême. Par exemple Pierre Bourdieu considérait que la science des sciences était la sociologie et non la philosophie. Daniel propose une complémentarité entre l'homme d'action politique et le philosophe particulièrement bien armé pour la critique et la lucidité. L'idéal serait comme le préconise Platon que le roi soit en même temps philosophe et réciproquement. Frédéric II au XVIIIe siècle se piquait d'être un despote éclairé. Mais les mésaventures de Voltaire ont montré que le despotisme finissait toujours par l'emporter sur la liberté de pensée.