Christian Carle introduit le débat en montrant que le concept de néant est paradoxal. Le verbe être, ici plus précisément exister, appelle comme sujet quelque chose d’objectif. D’où la contradiction d’affirmer qu’il existe quelque chose qui est privée de toute détermination au point qu’on peut légitimement douter de son existence. Cela renvoie sans doute au fait que le langage permet de nommer quelque chose même s’il n’existe pas. Philosophiquement on a est réduit aux antinomies énoncées par Parménide : l’être est ; le non-être n’est pas. Dans l’histoire de la philosophie ces antinomies sont dépassées chez Hegel, dans sa grande logique, où il montre que l’être pur coïncide avec le néant pur dans la mesure où le premier possédant toutes les déterminations possibles a priori ne peut que coïncider avec le second dépourvu de toute détermination. C’est pourquoi Hegel commence son ontologie par cette contradiction entre l’être et le néant qu’il fait dépasser par le concept de devenir ce qui renvoie à l’expérience commune du temps puisque dans le devenir ce qui n’est pas encore est un néant qui devient quelque chose. La question est reprise par la phénoménologie depuis Husserl jusqu’à Sartre en passant par à Heidegger. Pour Sartre dans sa célèbre ontologie, L’être et le Néant, c’est l’être humain, l’étant par excellence dans le langage de la phénoménologie, qui introduit le néant dans le monde, c’est-à-dire l’être. En termes techniques c’est ce qu’il appelle la néantisation qui diffère de la négation purement logique et linguistique alors que la négativité de la néantisation correspond à la réalité et non à ses représentations impalpables. D’où la formule célèbre énoncée par Sartre dans sa conférence L’existentialisme est un humanisme « l’existence précède l’essence ». Il emprunte le sens de cette formule à Heidegger dans son ouvrage Être et Temps au paragraphe 41. Si on traduit en langage commun le terme technique « Dasein » par « homme », être humain et si on se rappelle la distinction fondamentale chez ce philosophe entre l’être et l’étant cela donne : « l’homme est un étant (un existant) pour lequel, en son être, il y va de cet être même ». Autrement dit l’homme existe avant même que son identité, elle-même problématique, ne soit posée. On peut prendre la métaphore du bébé qui existe avant de savoir parler et donc d’avoir conscience de lui-même. Dans le courant de la phénoménologie française Merleau-Ponty perfectionne la formule de Sartre en montrant que la conscience consiste à une mise en distance de l’être. La conscience diffère donc de l’être dans la mesure où elle est conscience de quelque chose. La conscience est un néant d’être. D’où l’expérience phénoménologique de l’angoisse dans la terminologie de Levinas et de Sartre et du souci dans celle de Heidegger.
Bernard Guibert complète cette présentation en rappelant que dans les mythes et les religions de l’humanité il y a deux conceptions de la création du monde, celle de la création ex nihilo et celle du modelage d’une matière première comme fait un potier. Par exemple les deux conceptions existent chez Platon. Néanmoins la création ex nihilo est beaucoup plus difficile à comprendre sinon imaginer que le modelage. Dans la Bible par exemple c’est le tohu-bohu qui précède son organisation par Dieu. Chez Hésiode repris par Ovide dans ses Métamorphoses c’est le chaos primitif qui est mis en ordre par la divinité. Dans le Timée de Platon le potier divin façonne une terre primordiale. Le verbe être a deux significations dans les langues indo-européennes. Il peut signifier exister ou appeler un attribut. Mais si on le compare avec les autres verbes qui appellent un attribut, devenir, sembler paraître par exemple, il est le seul que le sens commun admet comme pouvant être substantivé de manière consistante. Le néant apparaît ainsi comme la substantivisation de la négation linguistique. Est-elle légitime ?.
La discussion s’appuie sur les problèmes cosmologiques tels qu’ils ont été précisés par les sciences contemporaines, notamment avec la théorie du big-bang. Qu’y avait-il avant le big-bang ? C’est la question que posent naïvement les enfants : qu’est-ce qu’il y avait avant la création du monde ex nihilo. C’est la question métaphysique reprise par Leibnitz : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? ». La discussion reprend la distinction de Sartre entre la négation linguistique et l’anéantissement d’une réalité. L’interrogation se déplace alors vers l’expérience de la mort et de l’angoisse qu’elle suscite. La religion est appelée comme viatique contre la peur de la mort. Il faut alors introduire la distinction entre mourir et être tué par son semblable. L’angoisse de la mort se métamorphose alors en l’interdit du meurtre. D’après Levinas : « Toute mort est un assassinat ». Mais alors le problème de métaphysique devient éthique. La néantisation n’est pas alors objective mais le fait d’un interdit subjectif. Une solidarité métaphysique s’introduit à l’intérieur de l’humanité pour que l’expérience angoissante de la mort ne puisse être infligée par un frère humain. À l’opposé la métaphysique de Heidegger énonce l’impératif d’asservir le monde à la logique et en conséquence de le détruire par déduction de l’existence d’une négation. Il joue sur le mot raison en traduisant asservir par arraisonner. Chez Nietzsche par contre la culpabilité qui résulte de la transgression de l’interdit de tuer résulte d’une violence essentielle à l’être humain
La discussion après l’expérience de la mort et du meurtre invoque celle de la rupture dans la relation amoureuse. La rupture introduit dans l’intimité de son propre être une blessure dont l’expérience s’apparente à celle de la mort. Infligée par l’autre elle déplace la question du néant de l’objectivité de l’être à la subjectivité de l’existence de sa singularité. Alors que le meurtre de masse réduit l’être humain à matricule, l’évanescence d’un nombre, le nom propre d’un être humain lui donne la vocation de donner consistance et de perfectionner sa singularité absolue.