ou le rôle du « numérique » dans nos vies réelles.
Qu’est ce que le numérique ?
D'abord j’ai cru ne pas trouvé chez les philosophes comme Socrate, Platon, Aristote, Schopenhauer ou Sartre, de référence au monde numérique. Les pensées du passé auraient-elles été inutiles ? La philosophie, comme le dit une chanson à propos de l’amour, ne dure-t-elle qu’un moment ? Et puis, en réfléchissant bien, je conçus que je pouvais quand même former une équipe avec Héraclite, Démocrite, Pythagore, Descartes, Leibniz, Blaise Pascal et quelques penseurs arabes d’antan.
Le numérique, c’est d’abord comme le feu d’Héraclite, de l’électricité. L’électricité, c’est le signe plus ou le signe moins, comme le binaire est oui ou non, comme le langage peut se résumer à deux éléments, zéro et un. Démocrite inventa le concept d’insécable, le numérique invente celui de l’unisécable. Il est bien connu qu’avec deux éléments différents mais complémentaires, on peut créer un troisième élément et d’autres à l’infini. Comme le dit un ancien texte sacré, croissez et multipliez-vous. Muni du binaire on peut faire tous les calculs désirés, ce qui aurait fait plaisir à Pythagore qui fut le roi des nombres dans l’antiquité. On peut organiser toutes les instructions voulues, c’est-à-dire utiliser une méthode, si chère à la forme d’esprit rationnel de Descartes. Puis on peaufinera à l’infini les calculs comme l’eut aimé Leibniz et on pourra construire des machines aptes à calculer par elles-mêmes comme en inventera Pascal. Quant aux arabes, nous leur devons deux choses aujourd’hui extrêmement importantes, l’algèbre et l’algorithme. L’algèbre, celui de Boole en particulier, permet de programmer la logique binaire ; l’algorithme examine toutes les possibilités d’un problème donné et fournit la bonne solution sans broncher.
Bref, le numérique c’est de l’électricité et de la logique. Partant de là, tous les univers rationalisables sont exploitables. On examinera essentiellement trois formes : l’informatique qui construit, la téléphonie qui communique et internet qui entasse et diffuse.
Quels ont été les apports du numérique ?
D’emblée, disons-le, ces nouveaux mondes qui ont transformé nos vies, sont irréversibles et nous ont apporté d’énormes progrès, du moins si l’on considère que l’extension du domaine de la liberté en est un. Professionnellement, l’allègement considérable des tâches, leur aspect plus intelligent, en un mot les prodigieux gains de productivité dans nos entreprises sont un bienfait incontestable. Qui voudrait aujourd’hui encore revenir à la machine à écrire et au drame des fautes d’orthographe qui obligeaient à recommencer tout un travail fastidieux, qui voudrait encore des armées de scribes alignant toute la journée des chiffres à la plume sur du papier, qui voudrait attendre on ne sait combien de jours pour avoir des réponses à ses questions ? Plus simple, plus rapide, plus performant, le monde numérique est bienfaiteur.
Il faut apprendre un nouveau langage, de nouvelles méthodes, de nouveaux comportements ? Diable !, sommes nous vivants ou pas ? Bien sûr que la vie est une adaptation permanente. Mais soucieux des limites potentielles d’un grand public élargi à la dimension de toute une société, les concepteurs ont tout fait pour nous faciliter la tâche. Qui sait vraiment réparer sa voiture, sa télévision, sa machine à laver ? Peu sans doute, et pourtant presque tout le monde sait conduire, zapper, appuyer sur deux ou trois boutons de programmes de lavage. Les langages des nouveautés, nombreuses et permanentes dans le monde numérique, doivent s’apprendre et nous faire changer nos réflexes. Les jeunes dont les acquis sont encore très frais se régalent plus vite que les anciens, mais la jeunesse n’a-elle pas eu de tous les temps cette énergie qui la pousse aux extrémités de ses désirs ?
Quels sont les dangers du numérique ?
Ne plus pouvoir se passer du téléphone ? Que dis-je du téléphone « intelligent », qui en anglais se dit « smartphone » ? Ne plus pouvoir se débrancher ? Se retrouver aliéné ?
Je crois que désormais nous pouvons rappeler les philosophes qu’on croyait obsolètes. Socrate et son connais-toi toi-même, Platon et sa caverne, Aristote et son éthique du juste milieu, Épicure et sa classification des désirs, les stoïciens et leur modes de vie raisonnables, Schopenhauer et son monde comme représentation, Sartre et son être révélé tout au bout des actions de son existence, on peut tous les rappeler, car les nouveaux problèmes posés relèvent bien de la philosophie et de la morale. Sinon, à quoi servirait la philosophie si une simple invention technique et si nos jouets du quotidien nous faisaient perdre la boule ?
De nouveaux comportements, de nouveaux langages, de nouveaux modes de pensée et rien ne resterait du passé ? Les plus jeunes communiquent en permanence et tous azimuts ? Ils s’égareraient dans des mondes virtuels et perdraient le sens du réel ? En un mot, ce que nous leur reprocherions c’est de ne pas se maîtriser, de ne pas chercher à se connaître vraiment eux-mêmes, d’être fascinés par l’abstrait au détriment des sentiments réels. Ce qu’ils auraient à apprendre somme toute, c’est une forme de sagesse. Mais n’est-ce pas un combat de tous les temps ? Savoir qu’il y a un bouton sur tous ces appareils qui s’appelle off, fermer en français. Savoir qu’il faut faire la part des choses : s’il est bon d’appeler ses proches quand on loin, ce qui est mieux qu’une carte postale reçue au bout de deux mois, il est moins bien de passer ses nuits à tchater pour dormir le lendemain pendant les cours. De la mesure, de la mesure avant toute chose.
On ne peut considérer l’extension de nos libertés, l’accroissement de nos efficacités, comme des méfaits. Mais faisons encore une fois appel à un grand philosophe, Platon, et à son « pharmakon ». Le « pharmakon » aurait deux sens opposés, soit il est un remède, soit il est un poison. Encore une fois, comme le dit le poète à propos de la poésie : de la mesure, de la mesure avant toute chose.
Introduction à la discussion.
On considère qu’il y a aujourd’hui environ huit-cent mille jeunes désocialisés, c’est-à-dire passant la plupart de leur temps dans des mondes virtuels et ignorant le concret autour d’eux et les relations sociales réelles. Il y aurait dès lors un constat évident d’aliénation et d’isolement. Mais n’y avait-il pas plusieurs millions d’alcooliques graves il y a un siècle ?
On pense que nous sommes sous contrôle permanent de différents pouvoirs à travers nos communications, nos réseaux sociaux, nos identifications géolocalisées. Devons nous craindre des interventions inopinées, des piratages, des indiscrétions excessives, des chantages, une perte de nos libertés, de notre liberté, liberté chérie ? Mais souvenons-nous des bourgs, des villages, des villes de province, chacun ne connaissait-il pas tout des autres, que machin a été vu avec machine, et qu’untel n’a pas payé ses dettes ou bien est un poivrot ?
À ces dangers d’aliénation, d’isolement, de persécution, il y a cette réponse bien connue depuis des siècles : l’éducation. Une bonne éducation, c’est-à-dire une éducation adaptée à son temps, disons même au temps des enfants en devenir. Répétons encore une fois les préceptes de Montaigne, une tête bien faite plutôt que bien pleine, et un esprit sain dans un corps sain. Et Montaigne écrivait à la plume ! Il me semble donc que dès l’école, disons le primaire car le numérique est désormais immédiat dans la vie des enfants, on se doit d’enseigner la tempérance, la prudence, la constance et la justesse (tiens les vertus cardinales peuvent encore servir), c’est-à-dire qu’avant tout programme et toute initiation aux techniques, il convient de mettre en garde les jeunes sur les dangers certains et prouvés de l’activité numérique dans son ensemble, ordinateurs, téléphones et internet. Il reste un problème à résoudre : la formation permanente des enseignants, car sinon les élèves, déjà bien avancés en matière de numérique, risqueraient de devenir les professeurs de leurs maîtres. Et là, le monde marchant à l’envers risquerait fort de perdre la tête.