L' honneur est une notion qui se perd, de même que son opposé, le déshonneur, et l'infamie, qui frappe celui qui s'est déshonoré, ne relève plus non plus du vocabulaire courant. L'honneur tient à la bonne réputation, comme l'infamie tient à sa perte. Perdre son honneur est irrémédiable, sauf s'il repose sur une calomnie (qu'il faut alors démontrer), et l'infamie qui s'y attache est définitive. Aussi bien faut-il des faits graves pour cette perte, et ses simples rumeurs, comme des fautes vénielles, n'y suffisent pas. Tout dépend donc ,dans une société donnée, de ce que l'on considère comme une faute grave, et l'on sait que, dans les nôtres, les entorses à l'honneur sont vite effacées, ou oubliées, parce que les exigences en matière d'honneur sont moindres, que la morale est plus indulgente, et que, la corruption étant bien tolérée, on est moins porté à blâmer ceux qui s'y livrent.
Encore faut-il distinguer. Si la faute est telle qu'elle vous fait perdre l'estime générale sans exception, l'infamie, et la honte qui s'y attache, est sans remède. Si elle vous fait perdre l'estime de ceux dont l'estime compte pour vous, il en va de même. Mais si la faute n'est telle qu'aux yeux de ceux dont l'opinion n'a pour vous aucune importance, l'honneur n'est pas perdu pour autant. C'est ainsi qu'une insulte, venue d'un mécréant, est pour un noble d'ancien régime corrigée par le fouet, tandis que si elle émane d'un homme de son rang, l'offense doit être réglée par le duel, car l'honneur est en jeu.
Schopenhauer distingue quatre sortes d'honneur : l'honneur bourgeois, l'honneur de la fonction, l'honneur sexuel, et l'honneur chevaleresque.
L'honneur bourgeois consiste à satisfaire à ce qu'on attend de tout homme : le respect des droits d'autrui et le respect de soi-même ; il correspond à la haute valeur attribuée à la personne en tant que telle, et le fait qu'il soit d'abord promu par la classe bourgeoise ne lui ôte rien de sa valeur universelle. Le terme moderne qui lui correspond est la dignité.
L'honneur de la fonction est l'opinion qui s'attache aux qualités requises pour exercer une fonction. Plus cette fonction est d'utilité publique et plus est grand son prestige, plus elle doit être protégée de la calomnie et défendue ; celui qui l'exerce doit être irréprochable. C'est notamment le cas de l'honneur militaire, fondé sur le serment de défendre la patrie en toutes circonstances.
L'honneur sexuel varie selon l'évolution des mœurs, et il consiste là encore à ne pas être parjure quand on s'est engagé dans des liens par serment. Dans cette approche, l'adultère est une perte d'honneur, tant pour qui le commet que pour qui le subit. Ce dernier peut réparer son honneur par le divorce, mais le ou la coupable d'adultère le perd à jamais.
L'honneur chevaleresque enfin s'attache non à l'opinion mauvaise que les autres ont de vous, mais à l'expression de cette opinion; on peut même se déclarer offensé alors même qu'il n'y a pas intention d'offense, mais que, pour une raison ou une autre, on se sent rabaissé dans son amour-propre ; d'où la multiplication des duels auxquels il donne lieu.
De ces quatre formes d'honneur, seuls subsistent aujourd'hui les deux premières. Et aucune ne mérite absolument qu'on mette en jeu sa vie. Car les choses sont complexes, et il est difficile de démêler ce qui, dans une perte d'honneur, tient à des causes extérieures, et ce qui ne tient qu'à soi-même. Seul ce dernier cas, s'il était prouvé, pourrait entrainer le suicide. Et la honte est déjà l'indice d'un repentir, et une suffisante punition. Mieux vaut relever celui qui est tombé, et l'aider à s'amender. Et mieux vaut ne pas mettre l'honneur à toutes les sauces, et, au nom de sa défense, s'engager dans des combats plus que douteux.
*On pourra lire avec intérêt sur ce sujet le chapitre du livre de Schopenhauer intitulé Aphorismes sur la sagesse dans la vie et consacré à l'honneur.