Le rôle du hasard dans le déroulement des évènements historiques est la dernière toquade des historiens. Il s’agit de faire pièce aux explications déterministes de l’histoire (souvent d’inspiration marxiste), et de montrer qu’en histoire, tout peut arriver. A la limite, le hasard est l’autre nom de la nécessité, mais d’une nécessité dont nous ne pouvons rien savoir ; des causes fines interviennent, et une multiplicité de telles causes, mais qu’il est à tout jamais impossible de démêler. Ainsi, à l’échelle macroscopique, le comportement des corps physiques est déterminé par des lois ; mais à l’échelle quantique, ce comportement est dit aléatoire, au sens où sa causalité nous échappe. De même en histoire, nous disons que le hasard intervient dans la production des évènements, au sens où ne pouvons pas rendre compte de la totalité des causes qui le déterminent, et de l’intrication des motifs et des mobiles, entre eux et croisés avec les facteurs purement matériels. On invoque alors la liberté humaine, et on dit qu’en histoire l’inattendu est toujours possible, parce que la liberté s’y déploie et qu’elle est largement incontrôlable.
Le principal bénéfice de cette conception, c’est de dégager la responsabilité. Si tout est possible en histoire, et si le hasard y joue un grand rôle, il se peut que ce qui doit arriver n’arrive pas. C’est notamment le cas pour les prédictions concernant les évolutions en cours du climat liées à l’activité humaine : ces prédictions annoncent des catastrophes qui arriveront peut-être, mais peut-être n’arriveront pas. Non qu’il faille dire qu’elles doivent nécessairement arriver - ce qui reconduirait à l’irresponsabilité par impuissance à les empêcher ; mais elles n’arriveront pas non plus par hasard, et des tendances longues sont à l’œuvre, qui y conduisent. Le hasard est ce sur quoi nous n’avons aucune prise, mais il ne faut pas lui accorder plus d’importance qu’il n’en a , et lui faire tenir le rôle d’un deus ex machina ; il ne joue guère que dans les détails, et c’est bien par la volonté des hommes que les choses arrivent. Et ce n’est pas par le hasard de l’assassinat de l’archiduc à Sarajevo que la guerre de 14 a eu lieu, mais par un enchainement de causes lié au jeu des puissances, qu’on aurait pu éviter, et qui y conduisait de toutes façons.