Un compromis consiste à trouver une solution médiane entre des positions divergentes. Ce n’est donc pas une synthèse, et la solution n’est pas parfaite; c’est seulement ce qu’on peut faire, faute de mieux. On est forcé à un compromis, on s’y résout ; parfois, c’est la meilleure solution, comme dans le cas de la tolérance ; et parfois, c’est seulement la moins mauvaise.
La vie sociale, comme la vie individuelle, reposent sur des compromis : c’est qu’on ne peut tout obtenir, ni réaliser tous ses désirs. Toute le question étant de savoir s’il s’agit de bons compromis. Que des hommes, pris individuellement, prennent les bonnes décisions en ce qui les concerne, est de l’ordre du possible : après tout, ils sont les mieux placés. Mais qu’une collectivité fasse de même est plus discutable, à cause de la divergence des intérêts. S’agissant d’économie, une main invisible peut bien effectuer à elle seule les bons compromis, mais en politique, c’est exclu. Dans ce domaine, on tranche de l’intérêt général par la délibération et le vote, ou par la consultation du peuple ; mais les décisions ainsi prises peuvent rarement passer pour des compromis satisfaisants, et ceux qui sont mis en minorité n’y trouvent pas leur compte.
C’est le talon d’Achille des démocraties. Elles sont dans un état d’agitation permanente, parce que, du fait de la liberté d’expression, le conflit des intérêts s’y manifeste au grand jour. On y fait le pari qu’il vaut mieux laisser les divergences d’opinion s’exprimer, afin de se faire une idée plus claire de l’intérêt général, plutôt que de les étouffer au risque d’engendrer dans le corps social des fractures durables, parce qu’invisibles. Toutefois, ce n’est là qu’un pari, et il n’est jamais sûr qu’on obtienne par là un consensus durable, et plus ferme. Et ainsi le compromis trouvé n’en est pas un, et l’on s’incline de mauvaise grâce.
L’art du compromis est une définition de la politique. C’est l’art d’organiser le vivre-ensemble, d’assurer la cohésion sociale, et à l’extérieur, d’éviter la guerre par la diplomatie. Cependant, la politique consiste aussi à décider, et pour décider, parfois à passer outre : cela s’appelle le courage politique. Un bon compromis est celui qui satisfait tout le monde, et il en est peu de tels en politique. De concessions en accommodements, on en vient bientôt à ne rien décider, et à remettre à plus tard : c’est une pratique courante des démocraties. C’est pourquoi l’art du compromis, quand il est pratiqué avec trop de zèle, revient souvent à se compromettre, et à ne faire que des mécontents.