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Le sentiment de culpabilité. Peut-on s’en passer ? Doit-on s’en passer ?

Dans l’article qui est issu de cette revue de vulgarisation psychologique et que j’ai reproduit il y a beaucoup de confusions, confusions entre culpabilité, c’est-à-dire une faute morale consciente et délibérée, et sentiment de culpabilité, entre culpabilité et erreur et entre erreur et hasard. Dans tous les cas, justifiés ou pas, le sentiment de culpabilité peut écraser, envahir la vie psychique au point d’entraver la vie « normale » : il peut « empoisonner l’existence ». D’autre part il stérilise des énergies psychiques et des ressources mentales qui seraient mieux employées à des activités plus utiles à la société et plus épanouissantes pour l’individu. Il semble donc nécessaire de s’en délivrer. Mais pas au prix d’un refoulement ou d’une dénégation de la culpabilité, ce qui serait ajouté la faute du refus de la sanction et de la réparation. Enfin il faut expliquer pourquoi les individus de notre société souffrent massivement de névrose, maladie psychique qui découle d’un sentiment de culpabilité sans faute morale individuelle identifiable dans le temps et l’espace.

Le mystère de la construction sociale du sentiment de culpabilité

Quand il s’avère qu’un criminel n’éprouve pas de sentiment de culpabilité la vox populi s’indigne : « C’est un monstre ! » Ce qui l’exclut de la commune condition humaine de sorte que la condamnation à mort ne faisait autrefois qu’entériner cette exclusion. Pour le sens commun donc la possibilité même du sentiment de culpabilité est une caractéristique du genre humain et témoigne de l’existence chez lui d’une conscience morale qui le distingue de l’animal : le prédateur ne commet pas de crime en tuant sa proie. Il n’est pas censé éprouver de sentiment de culpabilité donc. Le sentiment de culpabilité est un affect et non le jugement rationnel et froid d’une erreur du type : je n’aurais pas dû commettre ce délit ou ce crime puisque le châtiment auquel je pensais échapper est plus coûteux que le profit que j’aurais pu retirer s’il avait réussi.

Les économistes de l’école de Chicago effectuent de tels raisonnements lorsque l’un des leurs, Gary Becker, fait « l’économie du crime » : l’homo economicus arbitre entre le coût de la prison multiplié par la probabilité d’occurrence et le bénéfice tiré du délit ou du crime pondéré par la probabilité de sa réussite. De tels calculs posent une première question de principe : l’homo economicus est-il encore un être humain lorsqu’il s’exempte de toute norme morale ? Est-il autre chose qu’une machine à calculer, un robot privé de toute conscience morale ? Deuxièmement de tels calculs supposent données la nature et la quantité des sanctions censées être proportionnés à la gravité des délits et des crimes. L’homo economicus se dispense de tout jugement moral propre pour s’en remettre à celui de la société.

L’existence d’un tel sentiment est une énigme pour beaucoup de philosophes parmi les plus prestigieux, notamment Socrate et Rousseau. Pour Socrate « nul n’est méchant volontairement ». Il n’y a donc pas de faute. Il n’y a que des erreurs de jugement. Mais alors cela rend problématique le concept de responsabilité morale individuelle. Pour Rousseau l’homme est naturellement bon. S’il y a du mal il ne peut venir que de la société ce qui dissout en elle toute culpabilité individuelle. Il s’agit d’un jugement intime de soi par soi et non de celui de soi par autrui dans le caractère éventuellement négatif suscite alors le sentiment public de honte. Dans les deux cas le sentiment est une construction sociale qui trompe inutilement et cruellement l’individu. Il faut donc s’en débarrasser.

Une autre expérience de masse montre que la culpabilité et le sentiment qui l’accompagne éventuellement est une construction sociale, c’est celle de la guerre. En effet l’interdiction du meurtre que connaissent toutes les sociétés est levée en cas de guerre. Et l’expérience montre que statistiquement les soldats n’éprouvent pas alors de sentiment de culpabilité à tuer leurs semblables. Et les soldats s’arrangent avec leur conscience en faisant prévaloir le devoir d’obéissance — la discipline fait la force des armées — sur la répugnance très générale qu’il y a à verser du sang, même quand il s’agit d’animaux. C’est pourquoi la nature même du « crime de guerre » est extrêmement problématique. Et il y a un renversement complet avec l’idéologie de la force brute des « belles brutes blondes » qui a été exaltée par la lecture falsificatrice nazie de la Généalogie de la morale de Nietzsche. Si la loi morale est celle du plus fort, alors les faibles n’appartiennent pas à l’humanité des forts. Ce n’est alors pas plus un crime de tuer un sous homme — un Untermensch — que d’écraser un pou. Donc il n’y a pas de « crime contre l’humanité » à anéantir les juifs, puisqu’ils ne sont pas des êtres humains. Et ce qui est effrayant — par exemple dans le cas Eichmann analysé par Hannah Arendt — est que ce qu’elle appelle la « banalité du mal » ne génère aucun sentiment de culpabilité. Si le sentiment de culpabilité est une construction sociale, cela signifie qu’il est relativement au pouvoir de l’être humain de le renforcer au contraire de le faire s’écrouler. Il faut alors le maintenir pour qu’il y ait morale, c’est-à-dire condamnation des actes coupables, des délits et des crimes, et pas seulement regret qu’il puisse y avoir des hasards ou des erreurs. Le mal volontaire et la méchanceté existent. Nous les rencontrons tous les jours. Donc la culpabilité. Et donc nous attendons de ceux qui commettent ces délits et ces crimes que leur appartenance à l’humanité leur fasse éprouver le sentiment de culpabilité.

Le sentiment de culpabilité consécutif à une faute

Mais même justifié moralement par l’existence d’une faute individuelle objective sanctionnables par la loi si elle est avérée, l’existence d’un sentiment de culpabilité en tant que sentiment spécifique semble superflu. En effet pour maintenir la cohésion sociale la peur du châtiment en cas de transgression devrait suffire. Le sentiment de culpabilité semble en rajouter inutilement. Le sentiment de peur est éprouvé aussi bien par les animaux que par les humains. Chez les premiers il est le moteur du dressage. Ce dressage est également utilisé dans l’éducation des enfants. La peur du châtiment, même si l’imagination et l’anticipation paraissent plus développées chez l’être humain que chez les animaux ne peut expliquer la différence de nature qui fait que le sentiment de culpabilité semble spécifiquement humain. Par contre ce qui différencie le maître dressant un animal du parent ou du maître d’école éduquant un enfant, c’est que, au moins en puissance, l’enfant est appelé à devenir un être humain à égalité de nature et de dignité avec ses parents et avec ses éducateurs. En puissance il y a donc reconnaissance mutuelle entre les enfants d’une part et ses parents et éducateurs d’autre part. Le délit et le crime éventuel constituent alors une trahison de cette égalité en dignité effective (ou en puissance chez les enfants) et une atteinte à la norme qui définit la transmission de la morale et qui est symbolisée par le commandement biblique : « tu honoreras ton père et ta mère », les parents et les éducateurs incarnant l’autorité à l’origine de la reconnaissance mutuelle. L’animal et l’humain connaissent la peur et l’anticipation du châtiment qui les rendent obéissants et redoute tous les deux la perte d’affection des dompteurs d’un côté et des parents et des éducateurs de l’autre. Mais seuls les êtres humains ont vocation à ce que leur dignité soit reconnue par leurs semblables et qu’eux-mêmes soient reconnus comme égaux par n’importe quel autrui. Le sentiment de culpabilité est donc l’affect qui accompagne une trahison.

Axel Honneth caractérise, à la suite de Hegel, la reconnaissance qui construit l’identité individuelle par trois affects fondamentaux : 1) la confiance en soi ; 2) l’estime de soi ; 3) la reconnaissance de sa dignité par autrui. L’hypothèse que je soumets à votre discussion est que le sentiment de culpabilité justifiée fédère les affects liés aux deux derniers sentiments. Celui de honte correspond à la condamnation de soi par autrui. Le sentiment de culpabilité est l’affect de l’atteinte à l’estime de soi, c’est-à-dire au jugement de soi par soi qui intériorise les normes morales transmises par les parents et les éducateurs. Faut-il se débarrasser du sentiment de culpabilité justifié ? Non. Au contraire le calcul du criminel rationnel à la Gary Becker semble un bien faible garde-fou pour la moralité et la cohésion sociale. Comme dit Spinoza on ne peut combattre un affect puissant comme la jouissance sexuelle ou le plaisir à martyriser autrui que par des affects encore plus puissants, ici le sentiment de culpabilité alors que l’expérience montre que l’amour de la raison et de la sagesse est toujours trop faible.

Mais socialement le sentiment de culpabilité peut-être écrasant et paralysée l’individu dans sa participation sans entrave aux activités de la cité. Il est donc de l’intérêt général que le sentiment de culpabilité et finissent par disparaître. L’expérience montre que cette libération justifiée s’effectue en deux temps. Il y a d’abord la reconnaissance de sa culpabilité, sa mise en discours public, son aveu devant un tribunal ou dans un confessionnal comme dans le catholicisme, et son jugement public ou privé. Cela soulage comme on dit. Mais c’est la reconnaissance de la nécessité de la sanction et du châtiment et son expiation qui sont susceptibles de « laver » la culpabilité et donc, une fois la reconnaissance par autrui de sa dignité et l’estime de soi restaurées de faire disparaître le sentiment de culpabilité. C’est ce qu’expriment magnifiquement bien les romanciers russes comme Tolstoï dans Rédemption ou Dostoïevski dans les Frères Karamazov.

Le sentiment de culpabilité sans faute

Si le sentiment de culpabilité ne disparaît pas complètement après aveu et expiation, c’est que dans la culpabilité individuelle occasionnelle fait aussi incidence un sentiment de culpabilité sans faute individualisable et vérifiable objectivement. On se souvient du mot de Georgina Dufoix à propos des inondations de Nîmes : « Responsable mais pas coupable ! ». Le sentiment de culpabilité sans culpabilité serait la réciproque : « Coupable, mais pas responsable ». Ce sentiment de culpabilité sans faute est une maladie psychique de masse, la névrose, dans les sociétés victoriennes dont les exigences de maîtrise de soi vis-à-vis des pulsions de la sexualité et de l’agressivité sont de plus en plus draconiennes. Ce sentiment est lié à la conviction d’une faute générique de l’humanité dans son ensemble sans que quelque individu n’ait commis une faute identifiable dans le temps et dans l’espace. Dès sa naissance l’être humain serait coupable d’une faute dont il n’est pas coupable et que sa vie doit être consacrée à expier.

Péché originel et complexe d’Œdipe

C’est ce que les chrétiens appellent le « péché originel ». Mais cette conception de la vie humaine est commune à toutes les religions connues après la révolution néolithique.

Freud enracine le sentiment de culpabilité sans cause dans le complexe d’Œdipe qu’il prétend expliquer avec le mythe décrit dans Totem et tabou du père de la horde primitive qui monopolise toutes les femmes et châtre tous ses fils. Du point de vue des ethnologues ce mythe ne tient pas debout. D’un point de vue logique il repose sur une pétition de principe. Si le père de la horde est si terrible et injuste n’y a-t-il pas simple justice et non crime à le tuer. D’où provient alors le remords et le sentiment de culpabilité des fils ? Freud présuppose l’existence du sentiment de culpabilité qu’il prétend expliquer.

Les biologistes et les anthropologues contemporains donnent une autre explication. Les premiers observent que les êtres humains sont des animaux qui naissent très prématuré et le reste très longtemps. Ils disent qu’ils sont des « néotènes ». Les enfants néotènes reste extrêmement dépendants de leurs parents jusqu’à une vingtaine d’années aujourd’hui. Ils « doivent » leur vie aux parents qui la leur ont « donnée ». Les anthropologues observent que cette néoténie des individus se retrouve dans l’histoire de l’humanité au moment de la révolution néolithique. En effet les hommes sont passés d’un mode de vie reposant sur la chasse et la cueillette au jour la journée à un autre fondé sur l’élevage et l’agriculture selon un cycle annuel et non pas journalier. La survie est alors liée à la possibilité de faire la « soudure » entre deux récoltes, c’est-à-dire à éviter la famine en s’en remettant à la bureaucratie du pouvoir royal responsable de la gestion des réserves dans les silos et les magasins. Ces bureaucrates sont en même temps les prêtres des autorités divinisées par projection dans le ciel. Pendant cette période critique les êtres humains sont à la merci de la prévoyance du pharaon divinisé ou plutôt de son sage intendant le Joseph de la Bible qui a rempli les silos pendant les années des vaches grasses pour pouvoir les vider pendant celles des vaches maigres. Les êtres humains ont individuellement une « dette de vie » vis-à-vis de leurs parents pendant leur enfance et collectivement une « dette de vie » vis-à-vis des dieux et de leurs représentants sur terre les prêtres et les bureaucrates des pharaons. Ils doivent rembourser à tempérament cette « dette de vie » par des sacrifices et par du travail d’agriculteurs et d’éleveurs. La « dette de vie » : en allemand Schuld c’est aussi bien la dette que la faute comme le rappelle Nietzsche. Le sentiment très fort de détresse anticipée est alors lié aussi bien à la désobéissance aux parents et aux éducateurs qu’aux dieux et aux pharaons. Le sentiment de culpabilité serait alors lié à l’anticipation de cet abandon éventuel. C’est pourquoi les religions de la faute, comme le monothéisme hébreu, et les codes moraux, comme celui d’Hammourabi, naissent à cette époque.

L’entrave à l’émancipation

Pour devenir adulte, libre, autonome, heureux, il faut se débarrasser de ce sentiment de culpabilité. C’est difficile. Mais ce n’est pas impossible. Il faut assumer ce meurtre symbolique en se débarrassant de l’éventuel sentiment de culpabilité à le faire. C’est plus facile à dire qu’à faire. Ce sentiment de culpabilité sans responsabilité morale individuelle s’est répandu et renforcé avec les exigences croissantes de la civilisation vis-à-vis des individus comme l’analysent des penseurs comme Sigmund Freud dans Malaise dans la civilisation et L’avenir d’une illusion (l’illusion religieuse), Norbert Elias dans la Civilisation de cour et Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel. Il faut donc se débarrasser de ce sentiment de culpabilité sans justification. On le peut, comme le montrent les guérisons de la névrose par la psychanalyse. Mais cette dernière démontre également combien c’est parfois extrêmement long et difficile.

La mise en danger de la morale

Mais les psychiatres et les sociologues constatent que les névroses sont des maladies qui ont eu un début historique au XIXe siècle — l’époque que Marcuse appelle celle de la « surrépression » dans L’homme unidimensionnel. Nous en vivons la fin : en tant que maladie psychique de masse à la névrose succède la dépression. Or cette dernière substitue au sentiment de culpabilité celui de honte, honte de ne pas être à la hauteur, honte de ne pas être intégré au groupe, avec la peur de devenir un bouc émissaire. Alors que le sentiment de culpabilité sans culpabilité ou avec est ressenti individuellement comme effet du jugement de soi par soi la honte est un sentiment éprouvé en public qui pousse à l’aliénation au groupe pour lequel le sentiment de culpabilité, justifié ou pas, est un obstacle. La question se pose ainsi dans le nazisme de la responsabilité individuelle face aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité et de l’étouffement de tout sentiment de culpabilité supplanté par le bien-être d’appartenir au collectif grâce à une obéissance aveugle.

Les psychiatres et les sociologues observent la substitution de la honte au sentiment de culpabilité. Faut-il alors éradiquer complètement ce sentiment de culpabilité sans raison ? La question peut paraître provocante. Mais les philosophes précédemment invoqués Freud, Elias, Marcuse, parlent d’une répression minimale nécessaire à la vie en société et donc du sentiment de culpabilité minimal et fatal si l’individu transgresse les impératifs de cette exigence minimale. C’est que le rachat de la « dette de vie » s’effectue à « tempérament » par le travail quotidien. L’intérêt général commande que subsiste le sentiment de culpabilité qu’il y a à ne pas travailler. Mais à partir de quelle intensité l’exigence de travailler dur relève de la surrépression superflue et non de la répression minimale nécessaire. La frontière est floue. La seule solution ne peut pas être individuelle mais collective comme fruit d’une délibération et d’une législation, sur la durée du travail, sur les comités d’hygiène et de sécurité au travail, sur les inspecteurs du travail, sur les prud’hommes etc.

D’après les psychiatres et les sociologues l’impératif d’être « bien dans sa peau » afin de pouvoir mobiliser toutes ses ressources individuelles au service de la performance voire de l’exploit développe la honte de l’échec et la peur de devenir le but émissaire du groupe et finalement de se suicider. D’où des accès de « fatigue d’être soi » selon le titre d’un livre à succès d’Alain Ehrenberg. La frontière entre la pression sur les subordonnés en vue de la performance et entre la compétition dans la séduction érotique et la délinquance que constitue le harcèlement au travail et le harcèlement sexuel s’estompe au point de pouvoir déboucher sur les crimes du burn out pouvant aller jusqu’au suicide et jusqu’au viol sexuel et le crime.

Il y a donc danger de détruire la régulation nécessaire à la cohésion sociale. Il ne faut donc surtout pas se débarrasser du sentiment de culpabilité quand celle-ci est justifiée et résister à la pression collective pour l’effacer quand elle n’est pas justifiée. Le peut-on ? Il faut d’abord le vouloir. Les moyens sont essentiellement l’éducation des enfants, mais aussi la mise en place d’institutions ad hoc comme l’extension des compétences des comités hygiène et sécurité, comme la protection des lanceurs d’alerte, la mise en place des comités d’éthique dans les différentes branches professionnelles en ce qui concerne le harcèlement. Bref la morale ne doit pas être confiée exclusivement au for intérieur. Mais elle doit avoir pignon sur rue pour combattre les instincts grégaires et protéger et développer une liberté individuelle comme condition incontournable d’un épanouissement qui ne peut être exclusivement hédoniste mais doit être également éthique.

Conclusion

Le sentiment de culpabilité en tant qu’affect et non en tant que jugement abstrait de la responsabilité morale ou d’une erreur caractérise la conscience morale de l’être humain. Il s’agit d’une construction sociale, comme le langage, le genre ou la culture liée au sens moral caractérisant l’humanité par opposition à l’animalité. Le sentiment de culpabilité semble un sentiment qui combine le jugement de soi par autrui dans un processus de reconnaissance mutuelle d’égalité en dignité, en droit et en devoir et celui du jugement de soi par soi aboutissant à l’estime de soi. Quand il est justifié par une culpabilité réelle son sentiment ne doit pas être supprimé parce qu’il est un puissant régulateur moral et social. Mais il doit être à son tour régulé pour ne pas paralyser et « empoisonner » définitivement la vie de l’individu coupable. L’expérience montre que le sentiment de culpabilité superflu peut-être éliminé si la faute est confessée, reconnue publiquement et expiée à condition que la peine soit juste, acceptée et purgée (le vocabulaire est révélateur). Nos sociétés ont été depuis plusieurs siècles, sinon plusieurs millénaires, accablées par une maladie psychique de masse, la névrose, qui fait éprouver à un très grand nombre d’individus un sentiment de culpabilité écrasant, douloureux, paralysant et handicapant qui semble lié aux religions, plus particulièrement les religions monothéistes. L’origine de ce sentiment de culpabilité sans cause réelle semble être structurel et générique pour l’humanité. L’hypothèse proposée ici suit Nietzsche qui rappelle qu’en allemand un même terme désigne aussi bien la faute que la dette en faisant de la « dette de vie » l’origine d’un sentiment de dette, dette de l’humanité vis-à-vis des dieux qui assurent sa survie, notamment entre les récoltes, et dette de vie de l’individu vis-à-vis de ses parents et de ses éducateurs d’où un sentiment de dette et de culpabilité collectifs et générique vis-à-vis des dieux et un sentiment de culpabilité individuelle vis-à-vis des parents et des éducateurs. Un minimum de ce sentiment de culpabilité sans cause doit être maintenu puisqu’il correspond à une répression minimale nécessaire des pulsions animales en termes d’agressivité et de sexualité de l’être humain appelé à les maîtriser de plus en plus, cette répression étant nécessaire au processus civilisationnel des sociétés.

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