Il semble aller de soi qu’un gouvernement doit représenter les gouvernés. Cependant, « représenter » peut avoir un sens différent selon que le gouvernement est l’expression fidèle de la volonté populaire, ou selon qu’il se borne à l’incarner par convention, comme c’est le cas dans une monarchie. A strictement parler, la volonté populaire ne peut pas être représentée, au sens où un tuteur légal représente un incapable juridique et agit à sa place ; elle ne se délègue pas, ne s’aliène pas à travers des représentants, qui ne peuvent jamais être que ses agents exécutants ; cependant la question est de savoir à quoi on reconnaît la volonté populaire et quelles procédures permettent de l’identifier sans ambigüité. Soit le cas d’une élection du gouvernant au suffrage universel : sauf s’il est élu à 100 % des voix non seulement des votants mais des inscrits, on ne peut pas dire qu’il représente la volonté populaire ; d’un autre côté, comme une telle unanimité est impossible, on dit par convention que la majorité qui l’a élu est la volonté populaire, et que la minorité doit s’incliner. D’où déjà une entorse à l’idée de représentation.
Une autre limite à l’idée de représentation tient à la formation des électeurs : sont-ils suffisamment informés pour faire un choix qui reflète leur volonté, et pour vouloir ce qui est vraiment leur intérêt ? Enfin une troisième limite tient à l’exercice du pouvoir : c’est seulement si le gouvernant élu à un mandat du peuple, et qu’il le respecte strictement, qu’on peut dire qu’il représente la volonté populaire (mais même dans ce cas ce n’est pas sûr, car la volonté populaire peut changer au cours du temps).
Pour pallier à ces difficultés, on peut concevoir un exercice direct du gouvernement par le peuple ; dans une grande nation, c’est matériellement impossible ; mais à supposer la chose possible, cela ne réglerait pas le problème, car il faudrait là encore trouver des procédures claires pour dégager une volonté populaire, et l’on vient d’en voir les difficultés. Une approximation correcte de cette volonté serait une assemblée d’élus exerçant les fonctions de gouvernement et offrant une image fidèle de la diversité des courants d’opinions au sein du peuple ; cependant, dans un pays comme la France, il n’est pas sûr qu’une telle assemblée puisse gouverner.
On aboutit donc à la conclusion qu’il faut que le gouvernement représente le peuple, et que quel que soit la façon dont on s’y prenne, c’est impossible.
C’est pourquoi la politique repose essentiellement sur la confiance entre le gouvernant et les gouvernés. Là où cette confiance existe, même un monarque peut faire l’affaire, et là où elle n’existe pas, même les procédures les plus tatillonnes pour établir une correspondance étroite entre la volonté populaire et celle des gouvernants sont vouées à l’échec. Et c’est pourquoi l’exigence de représentation ne fait en général qu’exacerber le débat politique, et fait de la
politique cette passion vaine dont la démocratie offre le spectacle, et dont les français sont friands.