Une des propositions les plus frappantes du livre IV est l’identification de la vertu à la puissance (définition 8). La vertu est la catégorie éthique par excellence, comment peut-elle aller de pair avec la puissance ? C’est que la puissance exprime l’essence ou la nature d’un individu ; il est doté d’un quantum de puissance qu’il s’agit pour lui d’actualiser, en dépit de tout ce qui s’y oppose (et presque tout s’y oppose : « il n’y a pas de chose singulière qu’il n’y en ait une autre plus forte qu’elle, et qui peut la détruire »(axiome 1). Le raisonnement consiste à démontrer que la puissance d’un être humain est à son maximum quand il vit sous le commandement de la raison. La raison est l’aptitude, conforme à la nature de l’esprit humain, à comprendre toutes choses par leurs causes, et en particulier à comprendre les affections, auxquelles nous sommes nécessairement exposés, par leurs causes, afin d’écarter ou réduire celles qui nous sont nuisibles (qui se traduisent par une diminution de notre puissance d’agir) et à favoriser ou à modérer celles qui nous sont utiles (qui se traduisent par une augmentation de notre puissance d’agir). Dans cette entreprise, la raison est secondée par un désir, qui nait de la joie de comprendre et de se comprendre. Gouverner ses affections est donc possible, et en cela la raison ne demande rien qui soit contraire à notre nature.
Mais la vertu de la raison n’est pas seulement de nous permettre d’exprimer pleinement notre nature et d’accéder à une forme de salut personnel, car elle favorise aussi l’entente avec nos semblables ; si forte que soit notre résolution de vivre selon la raison, on pourrait objecter qu’elle se heurtera toujours à la déraison des autres, et qu’il vaut mieux, pour accroitre sa puissance d’agir, épouser leurs passions. Or il n’en est rien, car il n’y a pas deux passions qui soient exactement semblables (elles dépendent de la nature des corps individuels, lesquels sont toujours différemment affectés), et elles sont bien souvent contraires les unes aux autres ; tandis que la raison est la même pour tous, et ce qu’elle prescrit pour un seul vaut nécessairement pour tous ; en sorte qu’un homme qui vit selon la raison est profitable à tous, et que l’entente entre les hommes est bien mieux réalisée de cette manière que par tout autre moyen.
De cette entente solide et durable nait un accroissement de notre puissance d’agir. Et ainsi la vertu (la vie sous la conduite de la raison) est la même chose que la puissance.