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Philosophie

Ici commence le monde de la philosophie. Les points d’interrogations sont le domaine de la philosophie. On s’y accroche comme à des pitons d’escalades dont ils ont la forme. On veut gravir une colline, un mont, une montagne, conquérir un pic, franchir un cap, accéder à l’inconnu qui surplombe la vallée. Les points d’interrogations sont la philosophie. A l’opposé, les points d’exclamations, affirmateurs assurés, sont le domaine de la religion. Les point d’exclamations sont plantés droits comme des arbres, ils forment des vergers, ils font ressembler la terre à un paradis fertile. On désire y habiter, y couler des jours paisibles et heureux. Hélas, tout n’étant pas lisse et limpide durablement dans le monde du réel, des points d’interrogations surgissent néanmoins comme de mauvaises herbes dans le pré des points d’exclamations jusque là parfait. Dès lors doit-on faire appel à la philosophie au lieu de la croyance ? Le berger si protecteur de son troupeau docile laissera-t-il entrer le loup du doute ? Pourra-t-il répondre aux énigmes avant que l’on parte en recherches et questionnements troublants ?

La philosophie ne s’exprime qu’à l’ombre des points d’interrogation. Elle sait qu’elle ne sait pas tout. Elle s’interroge, tente de répondre, progresse dans le savoir mais sent bien qu’il faut rester vigilant. La religion sous quelque forme que ce soit tente d’apaiser les esprits, de calmer les angoisses en apportant des réponses considérées comme définitives. Comment ? Par de l’absolu. Et quel est le meilleur représentant apparent de l’absolu ? Le divin, le sacré, la loi. Ainsi sont posées les bases religieuses, s’organise un collectif, se développe une communauté. La religion emprunte sans cesse les résultats de la philosophie. Sans trop le dire, présentant comme sentences divines coulant de soi ce qui est le fruit de réflexions humaines. L’homme étant limité, c’est par la sacralisation qu’on fait d’une vision fugitive une vérité absolue. Nombreux sont ceux qui adhèrent docilement, acceptant une démarche plutôt confortable, croyant comme il faut ce qu’il faut croire et bénéficiant de la bénédiction du collectif. Ce que tous croient ne peut-être que vrai. Et malheur au mécréant !

Le point d’interrogation est donc un perturbateur. Mais est-il possible qu’il ne surgisse pas dans une vie ? N’y aurait-il aucune autonomie de la pensée, aucune anicroche qui perturberait le bon déroulement d’une existence, aucun obstacle à surmonter qui nous questionnerait ? Trouverait-on toujours réponse et satisfaction auprès de personnages et de dogmes apparaissant soudain comme salvateurs mais qui ne sont que mystificateurs ? Une vie sans point d’interrogation n’est pas possible. Tout un chacun le sait bien au fond de lui-même. Certes, sans aller jusqu’au point d’exclamation, certains répondent à un questionnement par trois points de suspension signifiant laissons tourner la roue du monde toute seule, la solution viendra bien d’elle-même ; d’autres posent deux points ouvrez les guillemets et ne les refermeront jamais, si ce n’est à leur dernier souffle, laissant aller la parole sur des voies sans fin comme elle peut si bien le faire.

Le philosophe prend le point d’interrogation au sérieux. Il veut faire face. Le philosophe retrousse ses manches et ira jusqu’où il pourra. C’est comme cela pense-t-il qu’il trouvera satisfaction et dignité. La philosophie se doit de répondre, se doit de trouver le chemin de la bonté et de la justesse, en forgeant des outils adéquats, en observant, en écoutant, en discutant, en réfléchissant, en transmettant. Le philosophe est un combattant. Le philosophe se veut pleinement humain et intègre. Nous nous devons tous d’être philosophes. Car le combat est partout, le combat est en tous, mais tous n’avons pas le même combat. Car tous n’avons pas le même sort. Nous ne pouvons avoir en commun que la méthode. Et la confiance réciproque qu’apporte la sincérité de l’esprit curieux et déterminé du philosophe.

Le philosophe ne se pose pas de questions. Ce sont les questions qui s’imposent à lui. Les fuir serait lâche. Les affronter ? Il n’y a pas vraiment d’autre choix. Cependant on trouve des réponses qui en elles-mêmes sont des récompenses. Comprendre un monde qui nous fuyait entre les doigts et pesait lourdement sur nos épaules, comprendre et savoir s’y mouvoir ; se connaître et se comprendre soi-même, construire ce qui était réellement nécessaire au bien vivre hors du factice et du superflu ; comprendre les autres et apprendre à bien se comporter, du moins aussi bien que possible en toutes circonstances, celles-ci pouvant être parfois très complexes et contenir de vilaines contradictions ; en somme, pour le dire simplement, être en paix avec soi-même, être cohérent, avoir bon cœur. Qualités qui ne doivent point être prise à la légère et prêter à sourire. Car l’opposé de ces vertus peut tout aussi bien s’imposer à nous si nous n’y prenons pas garde. Ne savons-nous pas que la terre a porté bien des enfers ?

Le philosophe ne vit pas une vie différente de sa philosophie. Pas question de parler d’un côté et de faire de l’autre. La non-contradiction fait partie de la méthode. Que des raisonnements puissants et incontestables amènent à un résultat qui de toute évidence est éloigné du plus élémentaire bon sens signifie qu’on est très costaud intellectuellement mais qu’un élément devait être pourri dans les prémices du fruit. La philosophie ne peut pas être non pratique. Elle ne doit pas être un bel objet suspendu en l’air, beau comme une œuvre d’art mais inefficiente. Entre la philosophie et la vie il n’y a pas d’écart. Entre ma parole et ma vertu il n’y a pas de hiatus. Entre mes considérations et ma morale il n’y a pas de rictus. Entre mon mental et mes mains s’engagent de solides concordances, je malaxe, je pétris, je caresse, je fabrique du cohérent à la tripotée.

Je suis un amateur. La philosophie n’est pas ma profession, et jamais je n’ai eu l’idée d’y passer ma vie. Simplement j’ai le goût de comprendre, j’ai du plaisir à lire de bons auteurs, j’aime écouter de savants professeurs. Je suis un amateur et je désire le rester. Garder finalement une certaine liberté de pensée sans contrainte de production, sans obligation de la transmission, sans nécessité d’un résultat à tout prix. Non, juste le plaisir de découvrir, de m’étonner, de me sentir en phase. Je suis un amateur, encore une fois je conserve ainsi le goût, le désir, la satisfaction.

Être amateur c’est aussi demeurer au milieu du commun des mortels, au niveau de la problématique courante et quotidienne. C’est bavarder simplement. Il n’empêche que de puissants esprits ont émergé dans l’histoire. Des auteurs remarquables dont la lecture me donne des frissons et m’arrache des cris de stupéfaction et de contentement. Cette lecture me transporte au sens propre, car sorti du monde courant, j’ai le sentiment de grimper au pinacle de l’intelligence, au sommet d’une construction intellectuelle précise et méthodique, au point que ce fameux quotidien me paraît soudain fade et ennuyeux. C’est donc prodigieux et dangereux à la fois. Il s’agit là d’un paradoxe qu’il faut gérer. Il est d’ailleurs tout à fait gérable. Petit à petit le sublime s’insinue dans la pensée, et le quotidien observé avec un nouvel œil prend dès lors une allure relevée. Du quotidien au sublime, puis du sublime au quotidien, les allers-retours forment et transforment l’esprit dans un mouvement réciproque permanent.

Ces auteurs tant lus et tant admirés qui emplissent ma bibliothèque, encore une fois, je n’en citerais aucun ici. Car citer serait réduire. Car nommer serait critique. Car interpréter serait fautif. Pourtant, beaucoup d’entre eux m’ont plu par la pertinence de leur raisonnement, la beauté de leur langage, l’élévation d’esprit qu’ils procurent. Vraiment certains m’ont apporté des arguments que j’ai fait miens et me sont devenus indispensables. D’autres ont ouvert des pistes intéressantes même si elles sont restées incomplètes. Mais après tout on peut faire ce complément nous-mêmes où à travers l’apport d’autres auteurs. Combiner en quelque sorte. Il est par contre des auteurs que je n’aime pas beaucoup, bien qu’ils aient acquis une certaine notoriété. Soit parce que je les trouve obscurs et absurdes, ou bien poussifs, fallacieux et maladifs, ou encore parce qu’ils n’aiment manifestement pas les gens simples. Ceux-là abreuvent par de belles paroles les esprits naïfs, revêches ou résignés.

J’ai suivi des cours de philosophie dans ma jeunesse. Mon premier professeur était un partisan politique et passait son temps à citer ses auteurs préférés qui allaient bien entendu dans le sens de ce qu’il voulait absolument nous inculquer. On adhérait ou on rejetait. Mais on avait du mal à réellement apprendre et progresser. Puis l’année suivante une belle femme entra dans la classe. La philosophie allait prendre une toute autre allure. Une allure adorable, une allure de génie. D’emblée elle nous expliqua qu’elle ne suivrait pas le programme prévu officiellement mais que nous débattrions de sujets qui seraient susceptibles de nous intéresser. Quelle méthode astucieuse. Profitant de l’ardeur des discussions avec les étudiants elle glissait à chaque fois des explications à travers la présentation de grands auteurs. Ainsi retrouvions nous incidemment le contenu du fameux programme mais en empruntant des chemins de vie. Jamais cette femme n’est sortie de mes souvenirs les plus précieux. Un peu plus tard, j’eus le plaisir d’assister à une série de conférences philosophiques pour adultes en quête de réponses à leurs problèmes d’adultes. Encore une jolie femme séduisante, volubile avec une pointe d’humour. En quelques mois elle parcourut magistralement le mouvement historique de la pensée philosophique.

Mais y a-t-il réellement une chronologie dans la pensée philosophique. Certes il y a l’inévitable antériorité des uns par rapport aux autres. Connaître les recherches et les résultats d’un prédécesseur amène à utiliser ces résultats, à faire autrement, à tenter d’aller plus loin. Pourtant, paradoxalement, je crois que la bonne philosophie n’a pas d’âge. Une philosophie c’est un tout. Un philosophe c’est un esprit. Je dirais même encore que c’est un point de vue. Lorsqu’on lit un philosophe, il faut avant tout en comprendre l’esprit profond et intime, esprit qui parcourt inéluctablement toute son œuvre. Le détail et le tout vont de pair. Comprendre donc l’esprit du philosophe et sa méthode, sa cohérence, c’est comprendre sa manière de penser et deviner ce qu’il aurait pu dire sur des sujets qu’il na pas abordés. C’est comme reconstituer une œuvre à partir d’un détail de l’œuvre. L’esprit, l’esprit d’un auteur est le primordial.

Il arrive parfois qu’on oppose certains philosophes l’un à l’autre, comme si l’un détenait la vérité tandis que l’autre se serait fourvoyé. Or, à propos de deux ou plusieurs bons philosophes, il ne s’agit souvent que de différences d’approches, de démarches propres à chacun d’eux qui ne justifient point l’incompatibilité ou le parti pris. Dès lors, le lecteur averti se doit de resituer chaque penseur dans sa perspective. La différence n’est point la contradiction, l’opposition n’est point la destruction, le débat, même polémique, n’est point l’annihilation.

Tout philosophe se doit d’avoir son propre langage. Il utilise certes des mots courants. Mais il va leur donner un sens bien à lui. On pourrait même dire un sens tout à fait nouveau et extrêmement précis. C’est-à-dire que de mots courants il fera un langage technique. Ces mots, cette technique, seront la base de tous les développements ultérieurs. En somme, des matériaux pour construire une structure. Une structuration de l’esprit et du monde. Comprendre ce langage, et cela dans le texte, est la première des choses à faire pour la compréhension d’un philosophe et de sa philosophie. Passer outre cette étape provoque la mésentente et l’incompréhension. Donc, prendre le temps initial, tout le temps nécessaire pour assimiler le langage, support de concepts fondamentaux, forgés par l’auteur.

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