La contrainte peut avoir plusieurs sens. Si contraindre signifie empêcher, l’homme n’a besoin de contraintes que pour l’empêcher de nuire, ou de se nuire ; si contraindre veut dire (étymologiquement) resserrer, la liberté humaine a besoin d’être contenue dans des limites pour ne pas dégénérer en abus. L’éducation passe par la contrainte, elle commence par la discipline, l’enfant qui ne sait pas encore ce qui est bon pour lui doit apprendre à obéir ; dans un stade ultérieur de l’éducation, la contrainte se fait auto-contrainte , contrainte librement acceptée : l’enfant reconnaît l’autorité d’une volonté extérieure à la sienne, parce qu’il reconnaît qu’elle veut son bien.
La vie sociale entière repose sur un ensemble de contraintes librement acceptées, de telle manière que la liberté des uns soit compatible avec celle des autres. Cette acceptation n’est pas essentiellement différente de celle qui prévaut pour l’éducation de l’enfant : l’individu, même adulte, ne sait pas d’emblée ce qui est bon pour la société et bon pour lui en tant que membre de la société, et il l’apprend moyennant la contrainte ; ce qui n’empêche pas de faire preuve de discernement, et de distinguer entre contraintes nécessaires et contraintes inutiles. De ce point de vue, il est permis de se demander si la société actuelle ne multiplie pas à plaisir les contraintes, en rendant l’adaptation de plus en plus difficile.
Parce que tant le monde physique que le monde social se présentent comme un ensembles de contraintes qui ne se plient pas spontanément à la volonté, il faut apprendre à utiliser les contraintes plutôt que de les refuser ou les nier. C’est ainsi que l’homme construit son humanité, en apprenant à connaître les lois physiques pour mieux les utiliser à ses propres fins, et en se dotant de règles morales et sociales qui sont autant de contraintes librement acceptées en vue de favoriser la vie sociale. Et la culture n’est rien d’autre que le passage à un état où de nombreuses contraintes intériorisées ne sont plus ressenties comme telles, et permettent au libre jeu des facultés de donner toute sa mesure.