Histoire de la brique, du boson, et d’ITER.
La question posée ci-dessus nous amène à une réflexion sur ce qu’est la science, quelles sont ses limites, et quels garde-fous devons-nous y apporter collectivement.
Le premier exemple exposé, pour introduire le débat, fut celui de la brique. C’est à partir d’éléments de la nature, la glaise et l’eau, puis ensuite la cuisson au soleil, qu’on a mis au point un matériau qui est la brique. Ensuite, avec les développements techniques impulsés par la collectivité, on a produit ce matériau de manière normée et industrielle, ce qui a permis la construction de maisons, d’immeubles, de villes, de cathédrales. Ainsi, de l’observation, de la compréhension, de la formulation, de la combinaison d’éléments simples de la nature, non fournis a priori par elle, mais nécessitant un « dévoilement », on a pu élaborer des techniques performantes pour la vie humaine. La fabrication de la brique n’est plus un secret, même si elle a été largement remplacée par le béton.
Faisons un grand saut dans le temps pour arriver à l’époque contemporaine. Aujourd’hui les chercheurs tentent une explication globale de ce que nous nommons la nature, c’est-à-dire de connaître ses composants et comment elle fonctionne. On analyse les particules les plus infimes, on élabore des théories de plus en plus complexes, et on veut vérifier concrètement ce que la pensée scientifique a déduit. Une des dernières grandes découvertes fut celle de ce que l’on nomme le « boson de Higgs ». Sans rentrer dans le détail de ce que cela représente, signalons simplement que l’ensemble de la communauté scientifique internationale a mobilisé des moyens gigantesques pour vérifier l’existence de cette particule qui complète notre corpus de connaissances en physique, du moins provisoirement. Car il semble que si cette découverte nous a amenés plus loin dans notre compréhension, elle ne termine pas l’histoire de la recherche, et la nature conserve encore quelques secrets qui risquent fort de ne jamais être dévoilés.
Abordons un autre phénomène, celui de la mise en application de nouvelles techniques à partir des découvertes scientifiques. Si le nom de la particule boson vient du premier individu découvreur de la chose, à savoir le physicien indien Satyendranath Bose, les institutions collectives sont quant à elles souvent identifiées par un sigle, tel celui d’ITER qui signifie International Thermonuclear Experimental Reactor. La découverte, l’intuition, vient de l’individu, mais l’exploitation, les développements, les applications techniques ressortent de la collectivité. ITER est un projet monstrueux, regroupant un très grand nombre de pays qui investissent des sommes colossales à Cadarache, pour tenter de produire une énergie fabuleuse, de la manière la plus économique, copiant en cela ce qui se passe dans les étoiles, c’est-à-dire encore une fois dans la nature. Que de secrets à dévoiler et à utiliser, comme si chaque porte ouverte donnait à son tour sur plusieurs nouvelles portes encore fermées.
Évidemment, on peut se demander si tous ces investissements sont encore raisonnables. N’en savons-nous pas assez pour bien vivre ? La réponse humaine est non. Espèce incorrigible qui développe sans cesse plus de puissance avec des ordinateurs quantiques, des blockchains, de la numérisation à tout va, de l’algorithmisation sans fin, de la robotisation indécente, espèce humaine qui peut-être est en train de perdre son âme à trop chercher au-dehors d’elle-même. Car il semblerait que plus la nature dévoile ses secrets, plus l’âme humaine en crée en son sein. Voilà une relation de la collectivité à la nature à revoir. Je finirais donc en citant cette maxime qui fut rappelée durant le débat : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cette phrase est tirée du « Pantagruel » de Rabelais (1483 – 1553), qui pourtant, à son époque, était loin d’avoir vu ce qui nous arrive aujourd’hui. Comme quoi, au moins, la sagesse n’a pas d’âge.