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Ai-je une âme ?

Dernière mise à jour : 15 mai 2023

Ai-je une âme?


Sujet présenté par Catherine TRICOIRE


le 04 mars 2023


A la recherche de l'âme perdue ?


Comme le souligne Fabrice, membre éminent de notre café-philo, il est de bon ton de commencer un exposé par un trait d'humour, histoire de détendre l'atmosphère.

Donc, pour statuer sur mon éligibilité à la détention d'âme, et non pas d'arme, j'ai d'abord songé à plagier la controverse de Valladolid qui eu lieu en 1550. Je l'aurais intitulée malicieusement la controverse de VallaDeauville. J'aurais fait s'affronter sur mon sort Monseigneur Lefebvre (paix à son âme), évêque intégriste qui aurait endossé le rôle de Sepulveda et Jean XXIII, pape rénovateur et artisan du concile Vatican II, qui aurait joué le rôle de Las Casas. Je n'ai malheureusement pas le millième du talent de Jean-Claude Carrière, aussi y ai-je renoncé.

Par ailleurs, il est fort peu probable que la controverse ait tourné en ma faveur car je suis une femme et les femmes sont toujours un peu suspectées d'être, disons, trop engluées dans les préoccupations de la vie courante pour prétendre au spirituel.

Baudelaire dans son recueil Mon cœur mis à nu publié en 1864 ne disait-il pas: " La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste comme les animaux. Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a qu'un corps," charmant, non?

Mais laissons là ce débat, nous le reprendrons la semaine prochaine lors de notre table-ronde du 10 mars 2023 sur les droits des femmes.


Introduction


Le mot âme n'est plus guère utilisé de nos jours. On lui préfère les mots, esprit, conscience, cœur, caractère ou grâce. Il est encore toléré dans des expressions telles que: vague à l'âme, des bleus à l'âme, l'âme sœur, âme qui vive, l'âme d'un peuple, corps et âme et surtout le "supplément d'âme" cher à Bergson; l'homme grandi par le développement de la technique aurait besoin que son âme grandisse à proportion pour continuer à le guider sur la voie de la raison (1).


Ce mot-valise, convoqué par la mythologie, les religions, la métaphysique, la phénoménologie, la poésie, la psychanalyse etc n'a plus la pureté de sa définition originelle qui vient du latin anima, «souffle, respiration» à la fois principe vital et spirituel, immanent ou transcendant, qui animerait le corps d'un être vivant. Il est suspecté de renvoyer à des vieux débats sur la dualité âme-corps ou d'être le symbole d'un vieil ordre moral où les valeurs et les principes trouveraient leur origine et leur fondement dans un principe plus élevé que toutes les conventions humaines.


Pourtant, beaucoup de nos contemporains croient à l'existence de l'âme. A l'occasion de la journée des morts du 1er novembre, l'institut de sondage IFOP a interrogé un panel représentatif de Français. Il recense que 49% des sondés pensent que l'âme disparaît avec le corps. 14% des catholiques croient que l'âme humaine est en attente de résurrection dans un corps. 47% de ces mêmes catholiques croient en l'âme et parmi eux 26% croient en l’immortalité de l'âme. 12% des sondés pensent qu'on peut engager un dialogue direct avec les morts.

Ces préventions vis à vis de l'âme et en même temps ces croyances tenaces en son existence méritent que l'on s'attarde sur son statut. L'âme est-elle devenue un mot vénérable qu'il faudrait conserver comme une relique dans notre patrimoine ou a-t-elle encore des choses à nous dire sur notre condition humaine?


Pour tenter de répondre à cette question, nous allons suivre 4 pistes:

1. L'âme a-t-elle un avenir en tant que fonction consolatoire face à la mort?

2. Le corps est-il encore l'ennemi de l'âme ou se sont-ils réconciliés?

3. L'âme trouve t-elle grâce aux yeux de la science?

4. L'extase matérielle!


1. La fonction consolatoire


Galilée dit que: "Notre goût pour l'inaltérable nous vient de notre terreur de la mort". L'inaltérable c'est l'âme. La crainte de la mort est naturelle et presque universelle. La mort nous place devant un inconnu radical. Personne n'est jamais revenu pour témoigner de sa mort. Quelques personnes relatent des expériences de mort imminente qui s'apparentent à des états de conscience modifiés mais rien de plus. Souffre t-on? Se trouve t-on face à quelque chose d'effroyable au moment de mourir? Il y a surtout la prise de conscience que nous allons devoir tout abandonner amour, amis, enfants, le goût des choses et la lumière.

Face à ce désarroi ultime, deux possibilités s'offrent à nous.


Soit, nous considérons que notre mort met définitivement fin à toutes nos sensations. Épicure nous exhorte à ne pas craindre la mort car l'âme disparaissant avec le corps, nous ne pouvons ressentir ni douleur ni peine. Notre âme serait comme toute chose composée d'atomes qui se désagrègent lors de la mort. " Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n'est rien pour nous, puisqu'il n'y a de bien et de mal que dans la sensation et la mort est absence de sensation. Par conséquent, si l'on considère avec justesse que la mort n'est rien pour nous, l'on pourra jouir de sa vie mortelle" Lettre à Ménécée. Comme le dit en raccourci Michel Onfray dans les interviews qu'il a accordées au moment de la sortie de son livre Sagesse :"Quand je suis là, la mort n'y est pas. quand la mort est là, je n'y suis pas". Dans cette façon d'envisager la mort, l'âme ne tient aucun rôle majeur et c'est plutôt la vieillesse avec son cortège de souffrances que l'on redoute. La mort qui nous apparaissait comme résultant d'un accident dans notre jeunesse , nous apparaît désormais comme une fin réelle et proche.


Soit, nous considérons que la mort n'est pas une fin mais un passage vers une autre réalité. Dans ce cas de figure, l'âme retrouve toute sa place car elle est une sorte de passeport vers cet autre monde. Croire en son immortalité c'est se promettre une vie éternelle et heureuse.


C'est le champ d'Ialou pour les Egyptiens, les Champs Élysées pour les Grecs, Paradésios pour les Romains, le Paradis pour les Chrétiens et Janna pour les Musulmans. La souffrance, la maladie, la pauvreté, l'asservissement et le désespoir sont tolérables. ce sont des épreuves envoyées par le divin qui nous feront encore plus apprécier la vie libre éternelle et joyeuse une fois que nous serons débarrassés de notre corps. Cette croyance consolatoire est tout à fait respectable mais elle n'évite justement pas la peur de la mort du fait même qu'elle est une croyance qui de fait laisse une part au doute. Par ailleurs, cette croyance peut nous conduire vers l'obscurantisme et le fanatisme.


Pierre Jourde dans son essai Croire en Dieu, pourquoi? nous dit que ce "Dieu créateur de l'univers et des êtres vivants, entend aussi se préoccuper de l'habillement des femmes, de leurs cheveux, du système pileux des hommes... du menu qui figure aux repas, de ce qu'on a le droit de manger et de boire ou pas, et quand...Il est à la fois nutritionniste et un influenceur de mode". Dit sur un ton humoristique, nous ne sommes pas loin de la réalité. Reconnaissons que c'est un marché bien coûteux pour un bénéfice très incertain. Une vie d'interdits, de tabous et de contraintes, pour quoi?

Ce qui fait la croyance en une âme immortelle ce n'est pas son sérieux ni même sa vraisemblance mais c'est le fait qu'elle soit conforme à l'opinion des autres. C'est avant tout un fait social.



2. L'âme et le corps : une possible réconciliation?


La philosophie moderne délaisse l'âme immatérielle et son statut de croyance et de superstition au profit d'une âme qu'elle identifie comme une substance pensante. L'âme s'appelle désormais pensée ou esprit, terme qui se traduit par le latin mens, qui a donné «mental».

Avec Descartes, le corps gagne son autonomie. Il est désormais capable de mouvement et l’âme se trouve assimilée à sa partie intellective: elle est la res cogitans, la «substance pensante» qui découvre par elle-même sa propre et indéniable existence, par une intuition évidente : Cogito ergo sum. Cette approche fonde un courant de pensée qui repose sur le dualisme âme-corps et sur la subjectivité. L'âme est fiable, le corps ne l'est pas. Seul notre entendement, au sens de faculté de l'âme, nous permet de saisir que le morceau de cire qu'il soit fondu ou non fondu est le même alors que nos sens nous disent le contraire. L’âme est indivisible, le corps est divisible. L’âme n’est pas étendue, le corps occupe un espace. L’âme est immatérielle, le corps est matériel.

Descartes assure la cohabitation de ces deux substances grâce à l’existence hypothétique d’une glande pinéale sans laquelle la théorie cartésienne s’effondrerait. C’est le seul moyen de relier l’âme au corps si l’âme est pure immatérialité, et le corps pure matérialité.


La philosophie de Descartes représente une réelle rupture avec la théologie et l’aristotélisme qui estiment que toute connaissance procède de Dieu. Il avance dans la modernité en déplaçant l’origine du savoir du divin à l’humain, et en faisant s’éclipser la foi devant la raison. Pour autant, il ne le fait que partiellement puisque l’idée de perfection réside en Dieu. Pour Descartes, le corps même s'il est une oeuvre de Dieu est une machine. La seule différence entre l’Homme et un automate, c’est que ce dernier n’a pas d’âme, tout comme un cadavre.


Pour Spinoza, l'âme et le corps ne sont pas unis par une mystérieuse interaction qui se passerait dans la glande pinéale. "Ils sont une même chose qui est conçue tantôt sous l'attribut de la Pensée tantôt sous celui de l’Étendue". Chaque attribut exprime la même substance, c'est à dire Dieu.

Si ce dualisme des substances a encore des adeptes parmi les philosophies du "mind-body-problem", il n'est plus guère en vogue dans la philosophie contemporaine. En revanche, la psychologie jungienne s'est emparée des termes de psyché ou d'âme pour faire une analyse de l'inconscient.


3. Que dit la science?


Disons le tout net, la science a depuis longtemps tourné le dos à l'idée qu'une essence immatérielle soit nécessaire pour expliquer la vie.

Le matérialisme pose l'idée que la matière n'est pas moins riche ni complexe que la vie de l'esprit.

Pourquoi la chose qui pense ne pourrait-elle pas être corporelle comme l'objectait déjà Hobbes à Descartes dans Les troisièmes objections?


L'évolution

Les hominidés se sont progressivement constitués à partir d'une origine animale. Le genre "homo" s'est différencié en de nombreuses espèces qui ont toutes disparu à l’exception d"homo sapiens". Dans cette suite, cette lente évolution de l'animal vers l'homme, à quel moment l'âme a-t-elle surgi?

Née il y a 2,583,457 ans, nous décidons que cette femelle n'est pas homo sapiens. Donc pas d'âme, pas de vie éternelle. En revanche sa fille née il y a 2,583,435 ans est une homo sapiens et a une âme. C'est absurde. L'idée d'âme est incompatible avec l'évolution" nous dit Pierre Jourde dans son essai Croire en Dieu, pourquoi?

Ce qui milite pour la réconciliation de l'âme et du corps c'est le fait que la pensée soit intimement liée au langage qui est vraisemblablement apparu quand les hommes ont eu besoin de communiquer pour améliorer leur stratégie de chasse. La pensée ne précède pas le langage. Le langage et la pensée sont des construits sociaux ayant permis aux premiers hommes de survivre et de dominer leur environnement. Chaque organisation humaine a d'ailleurs sa propre langue, son propre rapport au réel et sa propre façon de percevoir et de penser le monde. La sujectivité et la pensée sont nées de cet impérieux besoin de créer du lien entre les hommes pour survivre dans un monde hostile.


Nous aimerions nous croire nécessaires, inévitables, ordonnés de toute éternité mais nous ne sommes que le résultat d'une héroïque et infatigable pulsion de vie. La vie est née par hasard et tous les êtres de la vie, y compris les humains sont les produits de la sélection naturelle.

"Tout ce qui existe dans l'univers est le fruit du hasard et de la nécessité" nous dit Jacques Monod dans Le hasard et la nécessité.

Pour J.Monod, il existe un besoin inné chez l'homme de rechercher le sens de l'existence en inventant les mythes et les religions. Il admet l'idée qu'une connaissance objective comme seule source de vérité peut sembler austère et "inconsolante" mais elle est nécessaire pour construire une compréhension fiable du vivant et bâtir une nouvelle éthique du vivant. L'âme inengendrée, sans cause et immatérielle ne trouve pas grâce aux yeux de l'évolution.


La biologie

Pourquoi nos 86 milliards de neurones jouissant chacun de milliards de connexions ne pourraient-ils pas expliquer notre motricité, nos perceptions, notre personnalité, nos facultés de jugement? Pourquoi toute notre activité consciente ou inconsciente ne pourrait-elle se résumer à des activités physico-chimiques de notre cerveau?

Animées par la volonté de réduire l'étude des êtres vivants à celle des phénomènes physico-chimiques, les ambitions réductionnistes ne résolvent pas toutes les questions que nous nous posons. Il y a en nous quelque chose qui résiste, qui nous accompagne en silence: le sentiment d'une présence. Cette indicible serait-il l'extase?


4. Je n'ai pas une âme, je suis une âme.

La dernière piste que nous allons évoquer tente de mettre fin au dualisme cartésien, qui polarise l’Être entre le corps et l'âme, entre le monde et le soi, entre le sensible et l'invisible. L'évolution lui a donné déjà un bon coup de boutoir...Allons plus loin.


Il n'y a plus de distance irréductible entre soi et son âme lorsque l'on s'abandonne et s'immerge dans la nature qui nous permet d'acquérir à chaque instant " l'éternité, devenant ainsi Dieu".

"Il y a toujours en moi, pour que je n'oublie pas, pour qu'éternellement je me souvienne, ce morceau du soleil. Il est mon acte de fuite, ma libération, et que je suis, je le suis avec lui. Je m'éloigne. Je bouge. Je suis une bribe de la matière, de sa matière. Son feu absolu brûle en moi, silencieux et fort.

Parce que je bouge, parce qu'il est mon moteur, ce morceau qui n'est pas étranger me donne la lumière; sans trêve, il me fait passer de l'inconnu au connu, du vide au plein, de l'impossible au possible"Jean-Marie Gustave Le Clézio, L'extase matérielle.

La Nature n'est plus un paysage que je contemple avec une certaine distance, je suis un morceau de cette Nature. Elle me ressemble, elle me parle.

"Ce lieu est le seul; en lui tout est compris. Ce gouffre noir et sacré est la seule réalité. On ne peut pas l'oublier, on ne peut pas le nier. Quoi qu'on fasse, on ne peut que surgir de lui, vivre en lui, et retourner en lui. On ne le quitte jamais"."L'énergie et la beauté de la vie ne sont pas de l'esprit mais de la matière."

La même extase nous gagne en lisant Le chant du monde de Jean Giono. Extrait page 81 Édition Folio.


Il nous faut quitter notre place ethnocentrée pour envisager la Nature autrement que comme des ressources mises à notre disposition pour satisfaire nos désirs illimités. Nous ne respectons ni les animaux, ni les océans ni les plaines ni les autres hommes. Ce n'est pas la nature qui est cruelle, c'est notre mode de vie prédateur.

Pourquoi restreindre à l'Homme le privilège d'avoir une âme. Pourquoi ne pas la laisser proliférer à tous les niveaux de la réalité?

"Arbres, roseaux, rochers, tout vit! Tout est plein d'âmes" disait Victor Hugo dans Ce que dit la bouche d'ombre. La Nature nous parle, nous implore et nous ne l'écoutons pas.


Soyons des âmes, courageux, fraternels, respectueux de la Nature dont nous venons et à laquelle nous retournerons. Nous sommes des poussières d'étoiles. Pas mal, non?


Et vous de quoi est faite votre âme?

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