top of page
cafephilotrouville

Empirisme et scepticisme, la philosophie de Hume



Sujet présenté par Christian Carle le 24 juin 2023


David Hume est un philosophe écossais du 18ème siècle, contemporain de Rousseau.

On se souvient peut-être que lors de ma présentation de la vie de Rousseau j'avais mentionné la rencontre des deux philosophes, Hume ayant hébergé Rousseau après la fuite de ce dernier hors de France où il était menacé de prise de corps pour ses écrits.


En France, il n'est pas généralement considéré comme un philosophe majeur, du niveau de Platon, Spinoza ou Kant, mais c'est là un point de vue d'européen, nullement partagé par les anglo-saxons qui possèdent leur propre tradition philosophique, qui court de Francis Bacon à Bertrand Russel en passant par Hobbes, Berkeley, Locke, Adam Smith, Spencer, William James, et dans laquelle Hume occupe une place de premier plan; tous les penseurs de cette tradition philosophique se rattachent à une même école de pensée, celle de l'empirisme.


L'empirisme est la théorie de la connaissance selon laquelle toutes nos idées se fondent sur l'expérience, le mot expérience désignant l'ensemble des témoignages de nos sens, sensations, perceptions, émotions , ensemble que Hume regroupe sous le terme d'impressions sensibles ; autrement dit, il n'y a pas pour l'empirisme de connaissance a-priori émanant d'une raison pure, et tout ce qui ne se rattache pas à l'expérience et n'est pas vérifiable par l'expérience ne constitue pas une connaissance.


L'expérience est le critère du vrai et du faux, en théorie comme en pratique, en science comme en morale. On voit assez ce qui distingue une telle conception de la connaissance de celle de Platon et du rationalisme en général, qui tend à disqualifier le monde sensible et à le tenir pour sans vérité, et qui inspire largement la philosophie européenne.

Comme l'expérience est à la fois solide et fragile, solide parce que nous l'avons tous en commun et fragile parce que ses témoignages varient selon les individus, il est fatal que l'empirisme conduise au scepticisme, d'où le titre de cette communication. Poussé à l'extrême et tel qu'il a été pratiqué dans l'antiquité par l'école de pensée qui porte son nom, le scepticisme se détruit lui-même, son axiome de base étant qu'il n'y a aucune vérité.

Or il y en a au moins une, c'est qu'il n'y a aucune vérité, moyennant quoi la proposition se réfute elle-même : si elle est vraie, alors elle est fausse, et si elle est fausse, alors elle est vraie ; ce paradoxe fera les délices des logiciens du 20ème siècle comme Bertrand Russel.

La position de Hume est un scepticisme modéré, fondé sur le bon sens : bien que rien ne soit absolument certain, et que l'investigation même la plus perspicace ne puisse aller au-delà des données des sens, les « datas », les affaires humaines doivent pouvoir suivre leur cours et il est raisonnable de faire comme si ; ce qui donne à la philosophie de Hume un ton sans dogmatisme assez rafraîchissant chez un philosophe, et même si dans le feu de ses explications Hume se laisse parfois emporter à des affirmations tranchées, quand il revient sur elles dans la conclusion de son livre, il s'en excuse.


Mon exposé se bornera à la présentation des idées de son ouvrage principal, le « traité de la nature humaine » ; comme l'ouvrage fait près de 500 pages, je me bornerai à l'exposé des idées principales sans entrer dans le détail, comme je l'ai fait pour la philosophie pratique de Kant, et en ajoutant ici et là quelques reformulations de mon crû, car comme tout le monde il m'est parfois difficile de pénétrer le jargon des philosophes, et je dois m'en faire une idée avec mes propres termes.


L'ouvrage porte en sous-titre « essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets moraux », ce qui paraît ambitieux, car on ne peut pas placer l'esprit humain dans une situation expérimentale où l'on fait varier un à un les paramètres ; il faut comprendre qu'on s'en tiendra aux faits observables, non à ce qui doit être mais à ce qui est, ce qui est déjà beaucoup ; par ailleurs la méthode trouvera une illustration dans certaines expérience imaginaires, comme quand dans l'analyse des passions Hume demande ce qu'il en est du mélange d'espoir et de crainte face à un événement heureux à venir seulement probable ; si les chances sont égales, l'esprit oscille entre l'espoir et la crainte ; si l'on ajoute un degré de probabilité d'un côté ou de l'autre, l'espoir ou la crainte grandissent ou diminuent à proportion.


La nature humaine dont l'étude est le sujet du livre est la nature de l'esprit humain, l'étude du corps ne relevant pas de la philosophie. Le postulat est qu'il existe des constantes dans les opérations de l'esprit humain qui renvoient à une nature humaine immuable, quel que soit le lieu ou l'époque; ce sont toujours les mêmes ressorts qui engendrent idées et affections, et qui font l'unité du genre humain ; renoncer à cette uniformité, c'est renoncer à toute explication.

Le livre se divise en trois volumes, le premier consacré à l'entendement, le second aux passions, et le troisième à la morale.


L'entendement

L'axiome de base de l'empirisme est énoncé dès les premières phrases du premier chapitre : toutes nos idées dérivent d'impressions sensibles, les idées simples d'impressions simples, les idées complexes d'impressions complexes ; une idée n'est que la trace gardée en mémoire d'une impression antérieure, et qui revient sous une forme moins vive, la différence entre impression et idée n'est pas de nature, mais de degré ; les idées liées à des impressions originelles, que Hume nomme impressions de sensation, sont gardées en mémoire et donnent naissance à de nouvelles impressions, que Hume nomme impressions de réflexion, et qui sont à l'origine des passions.

Ainsi l'idée de plaisir ou de douleur résultant d'une impression plaisante ou pénible : quand cette idée revient à l'esprit, elle produit de l'aversion ou de l'attrait.Ces impressions de réflexion engendrent de nouvelles idées et ainsi de suite La thèse ne fait pas problème pour des impressions simples- je vois du bleu, je forme l'idée de bleu, j'ai mal, je forme l'idée de la douleur-, mais elle laisse un peu perplexe pour les impressions complexes, les mélanges d'impressions, qui sont les plus courantes ; la vue d'une pomme est un mélange d'impressions- couleur, forme, odeur-, et l'idée complexe qui lui correspond est fidèle à l'impression ; mais est-il si facile de décomposer une idée complexe comme l'idée de bonheur en idées simples ?

Les impressions complexes sont-elles toujours décomposables ( devant un paysage je perçois une foule d'impressions qui soit se renforcent soit se contrarient ; l'impression générale qui s'en dégage est-elle la somme de ces impressions ? C'est possible, mais difficile à prouver.


La nature même de l'idée fait problème; ordinairement elle est associée à un mot ou un groupe de mots, et on ne se donne pas la peine d'évoquer l'impression correspondante ; elle ne pose pas non plus problème quand elle est clairement représentative, comme l'idée simple de bleu ; mais pour le reste ?

La plupart de nos idées sont des idées générales, des concepts, et l'empirisme postule qu'on doit pouvoir les ramener à des idées particulières ( ainsi l'idée de triangle comme figure à trois côtés n'est rien si on ne la précise comme telle ou telle figure) ; ce sont des commodités qu'on utilise par convention en regroupant sous un même terme des choses qui se ressemblent, mais à trop s'écarter des impressions sensibles qui les ont suscitées il est, possible qu'elles en viennent à ne rien signifier du tout ; c'est particulièrement vrai pour les idées abstraites dont se sert la philosophie et qui n'ont pas de référence dans l'expérience ; elles appartiennent aux jeux de langage qui supposent une pré-compréhension intuitive de leur sens par les locuteurs sans qu'on puisse s'assurer autrement de leur validité.

Jusqu'à quel point peut-on leur faire confiance alors qu'elles n'ont pas de référent dans l'expérience?

Il n'est rien de plus courant, dit Hume, que de voir les philosophes empiéter sur les grammairiens et s'engager dans des discussions de mots alors qu'ils s'imaginent traiter de controverses de la plus haute importance. Hume ne s'intéresse pas à un rôle du langage qui porté à un certain niveau le constitue en un monde à part, sans référence précise à l'expérience, et ce dans un souci louable d'éviter le verbalisme , il s'en tient à une conception atomiste de l'idée, justifiable en droit et invérifiable en fait.


Ce que Hume ne voit pas, c'est le changement de plan que le langage fait subir aux idées, et qui n'est pas du tout une correspondance point par point entre mot et idée ; le langage a de multiples fonctions autres que d'exprimer des idées, par exemple de créer du lien et du non-dit, de jouer sur la pluralité de sens possibles, de susciter l'entente ou de la brouiller entre utilisateurs d'une même langue,etc.. ; ce sera ultérieurement le rôle de la philosophie analytique du 20ème siècle de tenter d'épurer la langue et de tenter d'élaborer une langue sur le modèle de la logique et dont la signification des termes soit la même pour tous ses locuteurs, ce qui représente une tâche incroyablement difficile si l'on maintient le postulat empiriste que toutes nos idées doivent dériver d'impressions sensibles.


Sur la question de savoir comment s'enchaînent nos idées, Hume répond qu'elles le font comme nos impressions, par association par ressemblance, contiguité dans l'espace ou le temps, et relation de cause à effet ; le moteur de ce principe d'association est l'imagination, qui va spontanément d'une idée à celles qui lui ressemblent, lui sont proches dans l'espace ou le temps, ou sont avec elle dans un rapport de cause à effet.

Une personne qui lui ressemble me fait penser à mon ami Pierre, la voix que j'entends dans la pièce à côté m'évoque l'image d'une présence humaine, le livre que je lis me fait penser à son auteur comme à sa cause La relation de cause à effet vaut spécialement qu'on s'y attarde, car la critique que Hume en a faite a déclenché un scandale qui a ému jusqu'à sa postérité actuelle ; c'est que, à la différence des associations par ressemblance ou contiguité, que l'imagination peut faire librement ( rien ne l'empêche d'imaginer que la voix qu'elle entend dans la pièce d'à côté est celle d'un revenant), dans le cas de la causalité l'imagination fait un pas de plus, et conçoit l'association comme nécessaire.


Le principe de causalité s'applique universellement à tout ce que nous percevons en nous comme hors de nous, et il est la base de tous nos raisonnements, qu'ils soient scientifiques ou liés à la vie courante, et en particulier de toutes nos anticipations et prédictions.

Quand nous percevons un objet quelconque, nous le percevons soit comme la cause d'un effet soit comme l'effet d'une cause, et nous affirmons qu'il n'y a pas d'effet sans cause ni de cause sans effet. La critique de Hume porte sur deux points distincts, d'une part le concept même de cause, d'autre part la relation de cause à effet entendue comme nécessaire, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Lorsque nous parlons de cause, nous entendons par là un certain pouvoir contenu dans la chose considérée comme une cause et capable de produire un effet ; or ce pouvoir par où la cause est cause, nous ne pouvons jamais le détecter même par l'observation la plus attentive, et c'est seulement par une expérience que nous savons en quoi il consiste( j'observe du pain, je ne vois pas en quoi il nourrit, je ne l'apprend que par expérience) ; si nous pouvions lire ce pouvoir dans la cause supposée, il serait tout à fait inutile de procéder à des expériences pour savoir en quoi il consiste ; par ailleurs, la recherche de la cause nous engage dans une régression à l'infini, car une cause a elle-même une cause qui a elle-même une cause, et ainsi de suite, en sorte que nous ne savons pas de quoi nous parlons quand nous parlons de cause.

La cause ultime des phénomènes nous échappe définitivement, ce qu'avait bien compris Newton dont Hume était lecteur assidu quand il disait ne pas faire d'hypothèse sur la nature de la gravitation et se borner à la mesurer.


Supposons qu'un extra-terrestre débarque parmi nous, il n'aurait à-priori aucune idée de la manière dont les objets inter-agissent, et il devrait en passer par une suite d'observations sur des relations régulières entre deux objets telles que l'action de l'un déclenche l'action de l'autre avant de déclarer qu'il y a là une cause et son effet.

C'est exactement ainsi que nous procédons, mais en y ajoutant l'idée que cette relation régulière est nécessaire, et que la cause produit toujours son effet. Or selon Hume c'est là notre erreur, autrement plus grave que de présupposer un pouvoir dans la cause.

Il n'y a rien de nécessaire dans la nature, et tout ce qui s'y produit pourrait se produire autrement, les seules relations nécessaires sont celles entre les nombres et les propositions de la logique, et elles n'impliquent aucune existence ; les soi-disant lois de la nature ne sont que des lois probables, et il faudrait avoir prospecté la totalité de l'univers pour conclure qu'elles s'appliquent universellement, alors que nous nous bornons à quelques expériences bien faites, les expériences scientifiques, pour les ériger en lois.

Ce que nous appelons nécessité n'est que le fruit d'une habitude, l'habitude de voir constamment associés une chose à une autre, et cette habitude repose sur une croyance, la croyance que ce qui s'est jusqu'ici toujours produit se produira toujours ; cette croyance est raisonnable dans la vie de tous les jours -et encore, pas toujours-, mais en science c'est une erreur ; et si par malchance la température du globe s'élevait de quelques degrés de plus au point de rendre toutes choses instables, nous pourrions vérifier la fragilité du principe de causalité.

Ce n'est pas parce que le soleil s'est toujours levé qu'il doit se lever demain, ce n'est pas parce qu'on a tiré à l'aveugle 99 billes blanches d'un sac de 100 billes que la 100ème doit être blanche ; les conclusions que l'on peut tirer de l'expérience deviennent illégitimes lorsqu'on passe de l'observation de régularités à l'affirmation de leur nécessité, et comme le dit plaisamment Bertrand Russel, « l'homme qui a nourri le poulet tous les jours finira par lui tordre le cou, montrant par là qu'il eut été plus avisé au poulet d'avoir une conception plus subtile de l'uniformité de la nature ».


La croyance est un phénomène fondamental de l'esprit humain, qui va très au-delà de la croyance religieuse; nous croyons à la liberté de la volonté, nous croyons à une existence indépendante et permanente de la matière alors que nous ne pouvons pas aller plus loin pour le savoir que nos impressions sensibles, par définition subjectives ; nous croyons de même à la nécessité du lien de cause à effet, et le tout sans preuve ; ces croyances répondent à un besoin, le besoin de cohérence, de stabilité et de sécurité ; mais ce n'est pas parce que nous avons besoin de croire à tout cela que tout cela existe.

La croyance est ainsi le phénomène fondamental de l'esprit humain, ce qui ne signifie pas que toutes nos croyances soient absurdes ; certaines le sont, et donnent lieu à des préjugés qu'il faut combattre ; mais d'autres, comme la croyance au principe de causalité, ont jusqu'à un certain point leur utilité pratique, même si à strictement parler elles ne sont pas vraies (Si vous croyez que vous retrouverez à la même place le soir la maison que vous avez quitté le matin, il y a de bonnes chances pour que votre croyance soit fondée ; par contre, si vous croyez que ce qui a réussi dans le passé, comme l'emploi d'énergies fossiles , doit aussi réussir dans l'avenir, vous courez à la catastrophe).


Ces considérations sont assez troublantes pour que Kant, lecteur de Hume, s'en soit alarmé, et l'on sait que la « Critique de la raison pure » a été écrite au moins en partie pour réfuter les thèses de Hume. Si Hume a raison, le sens commun n'en sera pas autrement troublé, et continuera à fonctionner comme d'habitude sur la base d'illusions et de croyances ; mais pour la science c'est autre chose, et si Hume a raison elle est ruinée et ne peut plus se contenter que de connaissances probables, ce que Kant ne peut admettre. Sa réponse consiste à poser l'esprit humain comme législateur de la nature ; ce que nous appelons nature n'est rien d'autre que l'ensemble des phénomènes soumis à des lois et structurés à priori par les catégories de notre entendement ( dont le principe de causalité), « a-priori » voulant dire avant toute expérience ; ce n'est pas notre esprit qui se règle sur la nature, c'est l'inverse ; Kant concède qu'il y a bien un au-delà des phénomènes, qu'il appelle le monde des noumènes, mais qui étant inconnaissable ne regarde pas la science, en quoi il rejoint Hume pour qui aussi il y a bien un quelque chose X au-delà de nos impressions sensibles sans qu'on puisse se prononcer sur sa nature ; toutefois la différence entre les deux penseurs est de taille : pour Kant, la connaissance bornée aux phénomènes est complète, alors que pour Hume elle reste grevée par la croyance; un épistémologue, Karl Popper, a tenté de trancher la question.

Laissant de côté la critique de la notion de cause, il déplace la question du problème de la causalité à celui de l'induction ; la démarche scientifique fondée sur l'induction ne consiste ni à tirer des conclusion à partir de la répétition de de cas identiques, ni à présupposer une subordination à-priori des phénomènes aux catégories de notre entendement, laquelle, encore valable dans la physique de Newton, ne l'est plus dans la physique actuelle ou l'on assiste à des faits totalement irrationnels, comme l'expérience d'un photon qui passe à la fois dans deux trous percés dans une feuille ; elle consiste à bâtir des théories réfutables, soumises à des tests et à la discussion critique, et qui ,si elles passent tous les tests, autorisent des prévisions rationnelles;de cette façon, l'entreprise scientifique reste sauve, quelles que soient les obscurités qui entourent la question de la causalité, et les théories sont vraies jusqu'à nouvel ordre.

Le cadre de cette présentation ne me permettant pas d'entrer dans le détail des deux autres livres qui composent le « traité de la nature humaine », je me bornerai à en dégager les idées-forces.

Tout d'abord, l'homme est un être de passion et non de raison. On ne peut échapper aux passions, et tout homme en a au moins une, la passion de soi-même, nécessaire à sa conservation.

La raison en tant que faculté autonome n'existe pas, sauf à s'appliquer à des objets neutres, les nombres et les relations logiques, et encore (on peut inverser la logique, créer une logique spéciale pour les besoins de la cause, et Hobbes avant Hume avait déclaré que si l'intérêt des princes avait été que 2+2=5, ils auraient légiféré à ce sujet, ce qu'on peut vérifier dans la désinvolture avec laquelle la Russie actuelle traite les vérités les plus évidentes).

Même quand la raison ne fait que raisonner, elle trouve encore le moyen de se convertir en passion, la passion d'avoir raison. Par elle-même, la raison est impuissante à forger la moindre conduite morale, tout au plus peut-elle rationaliser ce que les passions ont fait sans elle. La raison n'est que la servante des passions, c'est une sorte d'instinct, que l'on retrouve aussi bien chez les animaux, ou elle est seulement moins élaborée parce qu'elle ne prend pas appui sur le langage.

Les animaux ont des idées, qu'ils associent comme nous par ressemblance, contigüité et lien de cause à effet, et ils savent très bien tirer les conséquences de leurs expériences et en tirer de nouvelles idées.

Dans le livre sur les passions, on trouve cette formule-choc : « il n'est pas déraisonnable en soi de préférer la destruction du monde à une égratignure à mon petit doigt ». L'égratignure est actuelle et sensible, c'est une passion faible mais vive, alors que la destruction du monde, me touchant de moins près et n'étant pas imminente, ne cause qu'une passion calme. Donc il est normal que la raison incline là où la passion est la plus vive.

C'est ce que corrobore l'observation courante des comportements, dictés par la raison calculatrice de l'utilitarisme, au service de l'intérêt personnel et des passions.


Comment avec une raison si faible les hommes peuvent -ils s'accorder et faire société ?

Sur ce point, Hume rassure : il y a chez l'homme un sens moral, qui a partie liée avec le sens de la beauté, et les deux tirent leur force d'un sentiment de plaisir ; les belles conduites nous plaisent, les conduites laides nous déplaisent, et le sens moral n'est rien d'autre qu'un certain plaisir pris à des conduites qui nous semblent dignes d'être approuvées, ce qui n'a rien d'extraordinaire si l'on admet que les idées morales , comme toutes les idées, renvoient à des impressions sensibles. Une idée morale doit correspondre à une passion et procurer un plaisir.

Ainsi ce n'est pas du tout par amour de la justice que nous préférons la justice à l'injustice, et encore moins à la manière kantienne au nom d'un devoir strict, mais parce que son établissement satisfait une passion essentielle, la passion de posséder. Il est juste que chacun respecte la propriété des autres, car c'est seulement ainsi que chacun peut jouir de sa propriété.

Concernant l'origine de la société, Hume réfute la thèse du contrat. Pour faire un contrat, il faut en avoir l'idée, et rien dans l'état qui précède la société ne fournit les bases sensibles d' une telle idée.

Ce n'est pas essentiellement pour des motifs de sécurité et d'entr'aide que les hommes font société, mais pour des motifs psychologiques : la sympathie d'abord, qui naît de la ressemblance entre les hommes, et les porte les uns vers les autres en vertu d'une tendance spontanée de l'imagination ; l'attirance des sexes ensuite, d'où résulte avec la progéniture et les soins qu'on lui dispense comme un embryon de société ; et enfin, avec les progrès du langage et par là de la communication entre les hommes, le développement de toutes les passions, qui n'existent qu'entre des hommes.


A propos de ce dernier aspect, Hume ajoute un trait qui me paraît essentiel : il n'y a pas de moi individuel, rien dans la succession désordonnée de nos impressions et de nos idées qui nous assure de notre identité. Le moi est une fiction, non au sens du « cher moi », de l'égo, mais au sens d'une substance qui garantirait une présence constante à nous-même dans le temps ; et il en résulterait l'éparpillement le plus complet s'il n'y avait précisément la communication permanente des membres de la société entre eux, telle qu'elle permet de lier entre eux nos divers états de conscience, et qui résulte de l'interdépendance des passions.


Pour conclure, je dirai que Hume, bien qu'il soit courant de l'associer au mouvement des Lumières, n'en partage nullement toutes les vues.

On ne trouve chez lui aucun enthousiasme quant à des perspectives d'amélioration du genre humain ni aucune fringale de progrès, et la nature humaine telle qu'il l'envisage est ce qu'elle est et ne changera pas; libéral en politique et tolérant en matière religieuse, bien qu'il tienne la religion pour une pure production de l'esprit humain et une croyance sans fondement rationnel, la principale vertu qu'il se reconnaisse est la modération, née de la conscience des limites de l'esprit humain; et c'est une vertu assez communément partagée par l'empirisme sceptique de la mentalité anglo-saxonne.


17 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comentarios


Los comentarios se han desactivado.
bottom of page