L'Ethique de Spinoza
- cafephilotrouville
- 15 déc. 2022
- 14 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 avr. 2023
L' Ethique de Spinoza
Christian Carle 3 12 22
1° Dieu
La philosophie de Spinoza telle qu'elle est exprimée dans son livre majeur,
« L'Ethique », est un panthéisme.
Dieu est tout et tout est Dieu. Un panthéisme et non un paganisme : lorsque Spinoza écrit Deus sive natura (Dieu c'est la nature) il faut entendre par nature autre chose que l'univers matériel et les vivants qui s'y trouvent ; la matière n'est qu'un attribut parmi les attributs de Dieu, qui sont en nombre infini et eux-mêmes chacun infini ; et si nous pouvons dire quelque chose de Dieu, c'est que nous partageons deux de ses attributs, la pensée et la matière. Un tel Dieu excède infiniment tout ce que nous pouvons nous représenter de lui, et il est sans commune mesure avec le Dieu biblique ; il n'a pas créé le monde- il est le monde- il n'a rien de personnel, il n'intervient pas dans les affaires humaines, et à la limite il ne se soucie pas des hommes, à ceci près qu'il les a dotés de la pensée qui, si elle fonctionne bien, est en prise directe avec l'intelligence divine.
Il s'agit bien entendu d'un postulat indémontrable (mais c'est vrai aussi pour le Dieu biblique). De ce postulat résultent plusieurs conséquences : 1) l'univers matériel en tant qu'attribut de Dieu est infini (ce qui est assez audacieux à l'époque) et éternel (Dieu n' a ni commencement ni fin) ; 2)le monde, y compris l'univers matériel et la partie de cet univers où nous évoluons, est parfait (Dieu est le monde, et Dieu est parfait par définition) ; il n'y a donc pas de mal, bien et mal sont des notions purement humaines, liées à ce qui nous est avantageux ou contraire 3) en tant qu'attribut de Dieu, la pensée est univoque, elle est la même en Dieu et en nous, pour peu que nous l'appliquions correctement( d'où la possibilité de former des idées vraies) ; par la pensée, nous ne sommes donc pas perdus dans le monde, et nous disposons des moyens de connaître ,y compris de connaître Dieu, car il est le même dans tous ses attributs.
la méthode
Dieu étant posé, le reste s'en déduit, sous réserve d'adopter une méthode pour bien conduire sa pensée. C'est la méthode déductive, inspirée du raisonnement mathématique : postulats et axiomes, définitions, démonstrations, propositions et scolies. Le deuxième livre traite de la puissance de l'entendement, et des rapports entre l'esprit et le corps. Il y a dans l'entendement humain comme dans l'entendement divin une prééminence de l'idée ; il ne va pas de la chose à l'idée mais de l'idée à la chose, la pensée n'est pas représentative ; le vrai n'est pas à chercher dans une correspondance entre l'idée et ce dont elle est l'idée( il faudrait un 3ème terme en surplomb pour juger de cette correspondance), mais dans la seule puissance de l'entendement , dans sa capacité à former des idées vraies. Le test d'une idée vraie est sa capacité à s'appliquer à toutes les choses de même genre, ce qu'on appelle des notions communes, comme en mathématiques ou en physique les propriétés des corps ; les idées vraies sont des idées générales, non des idées abstraites , comme les concepts, lesquels visent à éliminer les petites différences entre les choses qui se ressemblent par certains points pour ne retenir que ce qu'elles ont de commun, alors que les idées générales marquent des rapports réels.
Ajoutons que les idées vraies sont persuasives par elles-mêmes, sans qu'il y ait besoin du concours de la volonté ; la cause commune de l'erreur n'est pas le décalage entre la volonté et l'entendement, comme le veut Descartes, mais le fait que nos idées sont entachées d'imaginations, et ont leur source dans une cause extérieure, non en nous-même.
Le garant de nos idées vraies, c'est, abstraction faite de leur déduction rationelle, Dieu ; il nous a doté d'un entendement fini, mais aussi puissant à l'intérieur de ses limites que le sien ; quand nous nous en servons bien, nous accédons à la connaissance du second genre, fondée sur la raison, par opposition à la connaissance du premier genre, fondée sur l'expérience commune et entachée d'imagination, qui est utile pour la vie sans être pour autant vraie. L'entendement qui procède par idées vraies est actif, il comprend toutes choses par leurs causes réelles, non par leurs causes imaginaires, il s'efforce de rétablir l'ordre réel du monde, son désordre apparent n'étant dû qu'à notre imagination ; tout ce qui arrive arrive par nécessité, selon l'ordre des causes, et il n'y a pas de liberté dans le monde ; le comprendre, c'est accéder à la seule liberté possible, celle de la connaissance, et malgré tout par là s'affranchir, mettre du jeu dans la nécessité- c'est ce qui sera développé dans les livres suivants.
Dans cet effort pour comprendre, le corps peut être un puissant allié, et pas seulement un obstacle. Il y a une intelligence du corps, on ne sait pas ce que peut un corps, et Spinoza donne l'exemple du somnanbule ; et il peut être d'autant plus un allié qu'il fonctionne parallèlement à son esprit : tout ce qui arrive à un esprit arrive aussi à son corps, et réciproquement, sans qu'on puisse pour autant parler d'interaction, ce qui serait effectivement difficile à comprendre entre deux attributs, pensée et corps, entièrement disitncts. L'explication de Spinoza est que l'action de Dieu est univoque dans tous ses attributs, et que rien ne peut arriver dans les uns qui n'arrive dans les autres, non certes à l'identique, mais selon leurs caractéristiques propres ; il suffit de penser à la manière dont les mots nous viennent à l'esprit et de quelle alchimie du corps ils procèdent ; quoi qu'il en soit, les conséquences de cette idée sont fécondes : plus un corps est apte à être affecté de toutes sortes de manières, plus son esprit est délié et apte à penser, plus un esprit est actif, plus son corps l'est, et un corps humain est aussi complexe que son esprit . Cette réhabilitation du corps à l'inverse de la doctrine chrétienne n'est pas pour rien dans l'originalité de Spinoza, ni dans son succès actuel.
Les passions
Le 3ème livre de l'Ethique est consacré à l'étude des passions, que Spinoza appelle des affections quand elles se rapportent au corps, et des affects, quand elles se rapportent à l'esprit, ce qui couvre un champ plus large que le terme de passion.
Parce que le corps humain interagit avec d'innombrables autres corps, il est nécessairement affecté, et il n'est pas question de se soustraire aux passions ; cependant, on peut les connaître, et surtout connaître les règles de leur production et de leur enchaînement, car elles ont toutes un air de famille, ce qui est quand même un moyen d'atténuer leurs effets. Si on peut les comprendre adéquatement, s'en former des idées vraies, on transforme ces passions en actions, et on s'en délivre en partie (en partie car il ne suffit pas de penser juste pour agir de même, encore faut-il que l'entendement soit exercé à penser par idées vraies (« je vois le meilleur et je fais le pire », dit le poète Ovide).
Il y a trois affects primaires, le désir, la joie et la tristesse.
Le désir est l'affect permanent, c'est le désir d'exister et de persévérer dans l'existence ; il caractérise une certaine puissance d'agir, constitutive de notre être ; elle peut être augmentée ou diminuée selon les bonnes ou les mauvaises rencontres, selon qu'un corps ou un esprit convient ou non au notre ; s'il convient, nous éprouvons de la joie, s'il ne convient pas, de la tristesse ; ces trois affects primaires ne sont pas susceptibles de disparaître, ils peuvent seulement être augmentés ou diminués, et d'eux dérivent tous les autres, selon l'objet sur lequel le désir se fixe.
Les affects se répartissent en deux groupes ; l'amour et ses variantes, la haine et ses variantes ; tout ce qui accroit notre puissance d'agir suscite les affects du premier groupe, tout ce qui les diminue les seconds. On a déjà là les rudiments d'une éthique, tant il est évident qu'il faut rechercher ce qui acroit notre puissance d'agir et fuir ce qui la diminue. ( cependant le désir peut être trompeur, et nous pouvons nous méprendre sur la nature de l'objet : « ce n'est pas parce qu'une chose est bonne que nous la désirons, mais c'est parce qu'elle est désirée que nous la jugeons bonne » ; c'est ainsi que la haine peut accroitre momentanément notre puissance d'agir, mais comme elle suscite la haine en retour, c'est un mauvais calcul à long terme).
Spinoza ne se contente pas d'un catalogue des passions, il montre comment elles naissent( d'une bonne ou d'une mauvaise rencontre, qui inspire joie ou tristesse), mais aussi comment elles s'étendent au-delà de l'objet, par contiguité ou ressemblance( j'aime mes amis, mais aussi les amis de mes amis, je hais quelqu'un, mais aussi tous ceux qui lui ressemblent ou qui appartiennent à la même nation) ; et surtout, comment elles s'engendrent les unes les autres( on passe de la peur à la colère, à l'agacement, au dépit, à la méfiance, au ressentiment, à l'envie, etc... Deux passions de même genre qui coexistent se renforcent mutuellement( peur et colère) une passion peut nourrir son opposé (espoir et crainte). Toutes les passions qui ont un fond commun, haine ou amour , sont susceptibles de se transformer les unes dans les autres ; cependant l'amour frustré peut se transformer en haine si l'objet aimé est cause de tristesse et la haine peut évoluer en amour si l'objet haï se révèle capable de procurer de la joie, et même ajoute Spinoza d'un plus grand amour que s'il n'avait pas été haï précédemment. (ce que savent tous ceux ou celles qui, voulant se faire aimer, commencent par faire monter les enchères) .
Il résulte de cette étude, pour laquelle je n'entre pas dans le détail, un tableau désolant : nous sommes enchaînés à nos affections et affects, livrés à une sorte de mécanique passionnelle. Les passions sont si diverses qu'elles divisent les hommes plutôt qu'elles ne les rassemblent, et leur effet le plus net est de rendre les hommes odieux les uns aux autres. Toutefois, Spinoza fait exception pour deux passions qu'il considère comme actives, et donc qui ne sont pas des passions : la fermeté d'âme et la générosité ; la fermeté d'âme est « le désir d'après lequel chacun s'efforce de conserver son être d'après les seuls commandements de la raison », et la générosité est « le désir par lequel chacun, d'après le seul commandement de la raison, s'efforce d'aider les autres hommes et de se les attacher par amitié ».
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que comprendre la mécanique des passions, c'est déjà se donner les moyens de s'y soustraire ; les idées vraies ne sont pas sans force, elles ont un pouvoir d'entrainement sur la volonté ; et on peut s'appuyer sur les deux affections actives qui viennent d'être mentionnées.
la liberté
Le titre du livre 1V « de la servitude de l'homme et de la force des affections » est trompeur, car il marque en réalité une étape décisive dans l'affranchissement des passions et dans la conquête de la liberté. Apparait pour la première fois le thème de la raison, jusque là à peine mentionné à propos des affections actives ; l'homme a une nature propre, et cette nature est constituée par la raison, quand il cède aux passions, il agit contre sa nature ; c'est évidemment un postulat, mais qui découle de la capacité de l'homme à former des idées vraies ; cette raison nous dit que le monde n'est pas incohérent, que les passions sont justifiées, que certaines- celles qui procurent de la joie- peuvent être utiles et concourir au bonheur, qu'on peut s'en servir pour combattre celles qui sont nuisibles, que la haine peut être vaincue par l'amour.
Que commande la raison ?
Elle nous commande de rechercher notre bien propre, ce qui peut nous être le plus utile, et pour cela de nous unir aux autres hommes sur la base de ce que nous avons en commun, à savoir justement la raison. L'union des hommes peut bien se faire sur la base de passions, mais une telle union n'est jamais très durable, et les passions des hommes ne sont pas assez stables pour fournir un fond commun. Dans leur union sur la base de ce que commande la raison , les hommes réalisent leur nature, laquelle est autrement empêchée, ils accèdent au maximum de leur puissance d'agir : rien n'est plus utile à l'homme que l'homme.
Apparait alors le thème corrélatif à celui de la raison, et qui va justifier tout l'ouvrage : la liberté.
On la croyait impossible, mais elle reste possible malgré la servitude des passions. Ce n'est pas une liberté absolue, mais c'est le fait d'agir selon sa nature, telle qu'elle est fixée intemporellement par Dieu, et même Dieu n'est pas libre autrement, il agit lui aussi selon la nécessité de sa nature.
En quoi consiste la liberté de l'homme libre, Spinoza en donne quelques exemples :
/ Faire en sorte qu'aucune passion, même joyeuse, n'ait d'excès (ce serait contraire à l'équilibre du corps humain, qui doit pouvoir conserver entre toutes ses parties le même rapport de mouvement et de repos).
/ Faire ce qui est bon pour lui-même, et non par crainte de ce qui est mauvais
/ Préférer un grand bien futur à un moindre présent et supporter un moindre mal présent s'il est cause d'un plus grand bien futur
/ L'homme libre ne pense à aucune chose moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation de la vie, non de la mort.
/Témoigner de fermeté d'âme, qui consiste aussi bien à éviter les dangers qu'à les affronter.
« Un homme libre considère en premier lieu que toutes choses suivent de la nécessité de la nature divine et que par suite tout ce qui lui semble importun et mauvais nait de ce qu'il conçoit les choses de façon trouble et confuse ; il s'efforce de concevoir les choses telles qu'elles sont en elles mêmes et d'écarter les obstacles à la connaissance vraie que sont la haine, l'envie ,l'orgueil, et d'autres du même genre ; et par conséquent il s'efforce autant qu'il est en lui de bien agir et de se réjouir »
Cette déclaration qui clot le 4ème livre donne le programme de ce qu'est pour Spinoza une éthique, et pour quoi il a donné ce terme en titre de son ouvrage.
Ce n'est pas une morale, qui prescrit et condamne, mais une approbation raisonnée de tout ce qui est , fondée sur la connaissance exacte de ce qui est en vue d'en tirer usage pour son bien propre. Et ce n'est pas le moindre mérite de Spinoza d'avoir produit une telle éthique, quand on sait la vie troublée qui fut la sienne.*
au-delà de la connaissance rationnelle
Dans ce dernier livre de l'Ethique, Spinoza commence par réaffirmer la puissance de l'entendement : les passions sont liées à des idées confuses quant à leur cause ; si nous parvenons à nous en former des idées vraies, « adéquates » dans la langue de Spinoza, nous pouvons en être quitte ; et si nous parvenons à mettre de l'ordre dans nos idées, en sorte qu'elles se déduisent les unes des autres- ce qui correspond à la méthode démonstrative de l'Ethique( Dieu d'abord, ce qui s'en déduit ensuite), cet ordre finira par s'imposer à nos représentations, aux choses dont elles sont l'idée ; car fondamentalement, l'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses.
Ceci pour la connaissance rationnelle.
Mais les dernières pages de l'Ethique vont plus loin, et l'on passe de la connaissance rationelle de Dieu et de ses œuvres à une approche intuitive, que Spinoza nomme « connaissance du troisième genre » , et que résume la formule « amour intellectuel de Dieu » ; toute approche analytique est dépassée, et il n'y a plus qu'approbation et amour ; toute détermination est négation, pouvait-on lire dans le second livre ; maintenant il n'y a plus place pour la négation, et c'est un « oui » sans réserve donné à toutes choses ; la connaissance culmine dans une sorte d'extase intellectuelle, de fusion avec la nature divinisée.
Le rationalisme débouche sur la mystique, la réflexion sur la contemplation, la sagesse rationnelle sur la béatitude. Spinoza conclut par cette affirmation étonnante : bien que notre esprit et notre corps puissent être détruits, nous expérimentons que nous sommes éternels. Cette éternité est celle des idées vraies que notre entendement a conçu, et concevoir les choses « sous les espèces de l'éternité », c'est rejoindre l'éternité divine.
Commentaire : pourquoi lire Spinoza aujourd'hui ?
L'Ethique est un tour de force intellectuel, cohérent de part en part : on part de Dieu, on déroule toutes les conséquences de sa définition, et on y revient au 5ème livre ; la boucle est bouclée. C'est ce qu'on appelle un système. Un tel tour de force ne peut que réjouir les philosophes, mais pratiquement, que faut-il en retenir ?
Tout d'abord son anti-christianisme : le bonheur est possible en ce monde, et il n'y a pas d'arrière-monde meilleur que celui-ci qui nous attend après la mort ; il n'y a pas de mal radical, la nature humaine n'est pas fautive, ou seulement par accident, il n'y a pas de pêché originel ; ce n'est pas parce que notre condition humaine est misérable qu'il faut nous tourner vers Dieu, mais parce qu'elle est bonne, et pour l'en remercier. Ensuite son éloge du corps, tenu pour aussi noble et digne d'intérêt que l'esprit ; également son analyse précise du mécanisme des passions, qu'on trouve chez d'autres auteurs, mais moins fouillée.
Plus profondément, un plaidoyer pour la connaissance : il n'y a pas pour l'homme d'autre salut en ce monde que de connaître et de comprendre, et de toutes les joies, la joie que procure la connaissance est la plus pure.
En ce qui concerne la pratique, on peut contester que les hommes s'accordent mieux par raison que par les passions ; c'est vrai pour la politique et la constitution d'une communauté civile( il faut du droit), ce l'est moins pour les rapports individuels (Hegel : « rien de grand ne se fait sans les passions »).
Le spinozisme est un humanisme, et même un existentialisme avant la lettre : l'homme n'a rien à attendre que de lui-même, « l'homme est un dieu pour l'homme ».
Le dieu-nature dont il fait partie n'a pas d'attention spéciale pour lui, hormis le fait de l'avoir doté d'une raison,, il ne le console pas, ne le protège pas, ne l'avertit pas s'il fait fausse route ; il ne demande pas de lui rendre un culte, le seul culte qu'il requiert (ce qui est déjà trop dire, car le dieu de Spinoza ne demande rien), c'est de le comprendre et de cultiver sa raison, ce qui n'est pas précisément le cas des religions ordinaires ; on ne peut pas non plus l'enrôler à sa cause quand on fait la guerre, car il n'intervient pas dans les affaires humaines ; reste le côté énigmatique de ce dieu-nature : que veut-il, et veut-il quelque chose, hormis se vouloir lui-même ? Agit-il d'après un plan, et lequel ? Il n'a pas disposé toutes choses en vue de l'homme( on ne trouve chez Spinoza aucun anthropomorphisme), et on ne peut pas dire qu'il lui ait facilité la tâche en créant un monde surabondant où il lui est difficile de se repérer, mais il a fait en sorte que l'homme puisse accéder à la compréhension de l'être et de son propre être, c'est déjà beaucoup.
On peut se demander, avec notre mentalité d'aujourd'hui, pourquoi postuler un tel dieu. C'est qu'il est le garant de la véracité de nos idées, autrement tout reste à l'état de bricolage( on trouve la même chose chez Descartes, pour ce qui concerne le dieu chrétien, et de façon moins marquée chez Kant, au moins pour les idées morales).
Il paraît difficile aujourd'hui de suivre Spinoza dans son panthéisme, mais il est peut-être possible d'arriver aux mêmes conclusions que lui en faisant l'économie d'un Dieu-nature et de se réconcilier avec un monde à-priori hostile et peu accueillant aux hommes. Sa philosophie nous invite à tenir les deux bouts de la lorgnette : d'une part, un monde humain compliqué, mais dont nous sommes entièrement responsables ; d'autre part, le miracle de l'être, sa magnificence et ses dimensions qui donnent le vertige ; il a été, il est , et il sera, les troubles du monde humain ne l'affectent en rien ; or, er bien qu'il soit sans commune mesure avec nous, il l'est au moins en ceci que nous pouvons le connaître et le comprendre, puisque nous en faisons partie, non pour en prendre possession autant qu'il est en nous -Spinoza n'est pas Descartes-, ni pour s'effrayer d'être perdu dans son immensité- Spinoza n'est pas Pascal- mais pour nous en réjouir, relativiser notre condition, et parvenir à la conclusion qu'en définitive tout est bien.
Ce fut à n'en pas douter le projet de l' Ethique, et il est certain que son écriture a répondu chez son auteur a un besoin de salut, comme il est certain qu'il a appliqué à sa vie personnelle les idées qui s'y trouvent ; ce salut, il ne le trouvait nulle part dans la vie de son temps, ni dans les religions instituées, ni dans les idées politiques, ni dans les philosophies en cours, et, comme il l'a écrit dans son « traité de la réforme de l'entendement », il aurait préféré mourir plutôt que de vivre à la manière des hommes de son temps et poursuivre la richesse, le plaisir ou la gloire, plutôt que de rechercher un bien véritable.
De fait, l'Ethique est un livre sans antécédent, sans référence à aucun auteur, c'est un livre de vie autant qu'un traité de philosophie, une entreprise de salut, et c'est aussi un livre-monde, qu'on peut lire et relire sans en épuiser le sens. Ecrit pour l'essentiel sur un mode impersonnel qui peut rebuter, il contient néanmoins nombre de commentaires plus accessibles, les « scolies », où s'exprime le tempérament passionné de l'auteur, et par lesquels on peut entrer dans le livre pour en faciliter la lecture.
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