Sujet présenté par Ariane Lucet et Fabrice Weill
Le repentir est-il une seconde faute, comme l’affirme Spinoza ?
Fabrice
En parlant de ces notions avec mon petit frère, pourtant diplômé de Normale Sup., j’ai constaté que comme bien des gens il n’avait jamais fait le distinguo entre regrets, remords et repentir.
C’est pourquoi j’ai appelé Ariane afin de clarifier cette question
Dans son « Essai du repentir», Montaigne s’exprime ainsi: «Le regret, le remords et le repentir sont trois habitudes qui intéressent l’homme. Tous les trois impliquent un malaise, une brisure dans la continuité et dans l’intégrité de l’être et le désir de ne pas être ceci ou cela. Pour comprendre la force de ce désir négateur il faut savoir mesurer avec précision la distance entre le moi que je nie et celui que je voudrais créer ».
Regrets, remords, repentir, la frontière entre ces trois concepts est ténue, comme le constate Fréderic Mitterrand quand il publie « Mes regrets dont des remords »: «Tous les remords sont des regrets, dit-il, mais tous les regrets ne sont certainement pas des remords. »
De même, lorsque Régis Debray écrit «Le remords d’un intellectuel»… Exercice singulier que ce mea culpa d'un penseur qui balaie devant sa porte et regarde à sa fenêtre. Loin des figures tutélaires et de sa jeunesse révolutionnaire, Debray se réinvente en spectateur lucide et désespéré.
Mais s’agit-il de remords? Au fond, Régis Debray n’a fait de mal à personne sauf à lui-même… Ne serait-ce pas plutôt de regret qu’il s’agit ?
Nous allons donc essayer de fait le point sur ce sujet, au niveau de l’individu et aussi à propos de nos société actuelles.
Ariane
1 - LE REGRET
Le regret est plus une affaire personnelle qu’une affaire collective. Il est rare en effet que la société exprime des regrets, et encore moins les dirigeants qui eux ne regrettent quasi jamais rien ( en tout cas publiquement…), et persistent dans leurs erreurs tant qu’ils le peuvent.
Pour les individus, il en va tout autrement. Le regret déplore l’absence de ce qui n’est plus et voudrait faire revenir un passé absent ou trop passé.
Que nous disent certains philosophes ?
Revenons à Montaigne. Voici ses mots : « Le regret n’a aucune signification morale il est négateur du passé, c’est la douleur de ne pas avoir fait ceci ou cela, une pénible prise de conscience de ma faiblesse. »
Pour Spinoza, « Le regret est une forme particulière de tristesse. Il est toujours joint à quelque désespoir et à la mémoire des plaisirs que nous a donnés la jouissance. Nous ne regrettons que les biens dont nous avons joui. »
Quant à Jankelevitch, il estime que « le regret ne diffère pas essentiellement du désir mais il désire une chose passée ».
Dans ‘’Guérir la vie par la philosophie’’, Laurence Devillairs écrit: « C’est une souffrance à peine supportable que celle qui naît du regret. Elle instaure entre soi et sa vie une distance, que rien ne pourra combler, car ce qui est fait est fait, et ce qui n’a pas été fait ne pourra plus l’être. »
Fabrice
Assez étonnant… Personnellement je m’inscris totalement en faux car pour moi tout ce qui n’a pas été fait ou dit peut encore l’être. Pour moi, les regrets peuvent être vus comme une liste de ce qui nous reste à faire .
Après tout, le regret ne peut-il pas être le moteur qui nous pousse à accomplir nos rêves, à nous dépasser et à continuer de vivre? C’est d’ailleurs le point de vue du philosophe anglais Henry David Thoreau (1817 – 1862):
« Tire le meilleur de tes regrets ne réprime jamais ton chagrin mais soigne- le et chéris-le jusqu’à ce qu’il en vienne à avoir un intérêt discret et complet. Regretter profondément c’est vivre à nouveau. »
Ariane
2 - LE REMORDS
Le remords concerne l’individu mais également la société.
Remarquons que curieusement il n’existe pas de verbe lié au substantif remords (remorder n’existe pas !).
Le remords est un cas de conscience qui nous met face à nous, face à notre responsabilité et peut nous permettre d’avancer jusqu’au repentir. On regrette une erreur, tandis que l’on éprouve du remords pour ce que l’on voit comme une faute. Au fond, le remords c’est du regret auquel se mêle la culpabilité.
On pourrait donc en déduire que celui ou celle qui éprouve du remords est doté d’une conscience morale. En psychologie d’ailleurs, une personne incapable d’éprouver du remords est qualifiée de sociopathe.
Et pourtant, plusieurs philosophes estiment que le remords n’a pas lieu d’exister Epictète déjà, au 1er siècle, estime: « Le sage ne considère personne comme coupable, ni lui-même ni les autres. »
Nietzsche dans ‘’Humain trop humain’’ lui emboîte le pas, en affirmant : « Le remords, c’est la morsure du chien sur la pierre, une bêtise. »
Nietzsche ne croit pas au libre-arbitre. Pour lui, nous agissons toujours dans la nécessité. Et quand on n’est pas libre de ses choix, on ne saurait être coupable.
Fabrice
J’avoue ne pas bien comprendre ces propos de Nietzsche. Peut-être que le débat qui suivra pourra nous éclairer…
Ariane
Autre argument de Nietzsche : ceux qui affirment que nous sommes libres de choisir entre le bien et le mal ont aussi décidé ce qu’est le mal, s’octroyant ainsi le droit de nous culpabiliser.
Ceci peut nous sembler étrange car le libre-arbitre est précisément la pierre angulaire de notre droit, qui punit en fonction du degré de responsabilité attribué à l’auteur de la faute. Sur ce plan, Nietzsche, dans « Généalogie de la morale’’, se réfère à Spinoza, qui considérait que le bien et le mal viennent de l’imagination de l’homme. Comme Spinoza, Nietzsche pense que les hommes ont été d’abord et pendant longtemps inaccessibles à la « morsure de la conscience », selon l’expression de Schopenhauer pour qualifier le remords.
Nietzsche développe un point de vue surprenant, attribuant le remords à une origine biologique. Il estime que le remords a fait son apparition quand d’animaux marins nous sommes devenus des animaux humains terrestres. Affirmation plutôt surprenante…
Le remords, à ses yeux, affaiblit l’homme . Que préconise-t- il ? D’utiliser notre conscience d’une manière qui ne nous affaiblira pas, en passant du stade moral au stade de la sagesse. Sauf qu’il ne nous dit pas vraiment comment faire… !
Pour Spinoza, il n’est pas pertinent de distinguer le bien du mal car Dieu est la Nature, et la Nature est Dieu. Au lieu de dire « Je n’aurais pas dû dire cela », il faudrait dire « Quelque chose a tourné de manière imprévue ».
Fabrice
Donc, nous ne sommes responsables de rien… Comme c’est commode!
Ariane
Citons aussi les mots de Kierkegaard à propos du remords qui donnent à réfléchir: «Si, à l’inverse du regret, le sentiment du remords prend une signification éthique précise, doit-on lui accorder une valeur morale authentique? Si l’homme du remords dénonce sa faute avec vigueur, il demeure sous son emprise, en reste accablé, ne peut se délivrer du mal. Au moment même où il condamne sa faute, il la continue, il la revit sans fin. Alors que la vraie conscience morale est disposée à l’action et tournée vers le futur, l’homme du remords est totalement passif, victime d’une obsession. L’avenir est coupé pour lui, le présent défiguré et totalement envahi par un passé abhorré. C’est pourquoi une éthique positive soulignera la stérilité du remords.»
Revenons un instant à Schopenhauer. Pour lui, le remords prouve l’existence de notre liberté. Si nous pouvons éprouver du remords pour un acte, c’est que nous partons du principe que nous avons eu le choix. Ce qui prouverait que la liberté existe.
Fabrice
Pas d’accord! On peut éprouver du remords pour des actes que l’on nous a forcé à faire.
Ariane
3 - LE REPENTIR ET LA REPENTANCE
Disons, pour faire simple, que le repentir concerne une action individuelle, personnelle, tandis que la repentance (terme récent), s’applique principalement au collectif – Etats, groupes sociaux…
Spinoza affirme que le repentir est une seconde faute. Car, écrit-il dans l’Ethique (IV, proposition), « qui se repent de ce qu’il a fait est doublement malheureux ». Selon lui, le repentir ne saurait être considéré comme une vertu puisqu’il ne naît pas de la raison et se développe sur fond de tristesse. Il est tout à la fois inutile et nuisible.
C’est finalement assez proche des propos de Kierkegaard déjà cités sur le remords.
De plus, pour Spinoza, l’affect qu’est le remords n’a aucune valeur éthique. Le repentir ne répare pas la faute commise et peut même s’avérer dangereux en proposant un illusoire palliatif à la réparation effective.
Faudrait-il se débarrasser du repentir ? Il est pourtant considéré comme une vertu par la morale dominante. Qui, en effet, ne préfère voir un meurtrier se repentir plutôt que de le voir affirmer qu’il n’éprouve aucun remords ?
Dans le christianisme, le repentir est la condition de la rédemption et du salut.
Les œuvres de pénitence dont parle l’Evangile permettent de reléguer le passé à sa place. Ainsi, là où le remords est la hantise du passé, le repentir se tourne vers l’avenir, il est convalescence.
Mais la question éthique que posent les propos de Spinoza vaut que l’on s’y arrête : est-ce que le repentir lave et absout ?
Le repentir, c’est le miroir du remords. Il n’est utile que s’il est public . Le repentir se détache de sa faute qui n’est plus son essence même mais un prédicat accidentel. Source ?
Mais on ne peut pas présenter le repentir comme un simple rachat, un échange compensatoire entre ma faute passée et mon mérite présent. Cette grâce que l’on s’accorde à soi-même suffit-elle ? Ne faudrait-il pas aussi que ceux que l’on a offensés nous accordent leur pardon pour que le repentir soit accompli ? Sinon, quoi ? On se repent, et tout est oublié?
Fabrice
Au niveau collectif, il faut bien sûr évoquer la repentance des Etats pour les mauvaises actions du passé.
Quelques exemples :
Décembre 1970. Jour de signature du Traité de Varsovie entre la République populaire de Pologne et la République fédérale d’Allemagne. Willy Brandt s’agenouille devant le mémorial des victimes du ghetto de Varsovie.
Février 2008. Kevin Rudd, Premier ministre australien, présente des excuses officielles aux Autochtones d’Australie, pour deux siècles d’atteinte à leur dignité.
Août 2010. Le Premier ministre japonais présente des excuses pour les souffrances infligées aux Coréens pendant les 35 ans de colonisation de la Corée dans la première moitié du XXè siècle.
Alors, oui. Pour les victimes ou leurs descendants, repentance vaut sans doute bien mieux que silence et/ou déni. Car, au moins, à travers la repentance, il y a reconnaissance que quelque chose de « mal » a été perpétré.
Cela dit, c’est bien commode aussi. On se repent de faits commis par d’autres dans un passé lointain, s’octroyant ainsi ipso facto un certificat de bonne conduite. Nos prédécesseurs étaient affreux mais nous nous sommes purs.
En France, la repentance à propos de la colonisation fait l’objet de nombreuses controverses. Dont une, très surprenante, à mes yeux. Selon les historiens Sébastien Jahan, Alain Ruscio et Gilles Manceron, la repentance servirait à caricaturer la position adverse, pour mieux défendre les «aspects positifs » de la colonisation.
J’ajoute que la repentance est très sélective. Nous sommes-nous repentis pour la colonisation de l’Afrique subsaharienne, pour les crimes de Napoléon en Orient durant la campagne d’Egypte, ou ceux de la Terreur en 1993 ?
Enfin le regret le remord le repentir ne concerne qu’une façe du miroir. Par ce que pour que cela fonctionne il faudrait aussi que les victimes aient leur mot a dire et pardonne mais est il possible de pardonner?
Pour moi, la repentance est une comédie. Il n’y a pas de pardon, juste de l’oubli, comme le dit Jankélévitch. En 1965, il avait ces mots très durs concernant le pardon à l’égard de l’Allemagne nazie.
« Peut-être que la prescription aurait tellement d’importance si l’épuration en Allemagne avait été plus complète et plus sincère, si on sentait plus de spontanéité, plus d’unanimité dans l’évocation de ces terribles souvenirs.
La disparité entre le tragique de ces années maudites et la bonne conscience des Allemands d’aujourd’hui sera sans doute une des plus amères dérisions de l’Histoire.
Que vient-on nous parler maintenant d’oubli et de pardon, ceux pour qui les fusillés du Mont-Valérien et les massacrés d’Oradour n’ont jamais beaucoup compté, ceux pour qui il ne s’est rien passé entre 1940 et 1945 à part quelques soucis de ravitaillement. Ceux-là étaient déjà réconciliés dès 1945 avec un occupant si correct.
Le lendemain de l’Armistice, ils avaient déjà oublié ce dont ils ne voulaient nullement se rappeler.
Ils n‘ont pas conscience de la tragédie des 500 000 Juifs mis à mort dans le ghetto de Varsovie.
Le pardon? Mais il est un fait accompli depuis longtemps à la faveur de l’indifférence, de la frivolité, de la superficialité générale Il s’est inscrit juste après la guerre dans le réarmement des malfaiteurs, dans la réhabilitation des criminels.
Tout est déjà pardonné et oublié, il ne reste plus qu’à jumeler Oradour avec Munich.
Idem pour Kundera. Qui conclue son roman La Plaisanterie ainsi:
«La plupart des gens s’adonnent au mirage d’une double croyance. Ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes des Nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des torts). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé: tout sera oublié, rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (par la vengeance ou par le pardon) sera tenu par l’oubli.
Personne ne réparera les torts commis mais tous les torts seront oubliés.»
ARIANE
Pour lancer le débat, je reformule quelques-unes des questions que nous avons abordées :
- Les regrets appartiennent-ils irrémédiablement au passé ou pouvons-nous les voir comme pouvant advenir (comme une «To Do List») ?
- Éprouver du remords est-il le signe d’une conscience morale dont nous pouvons nous réjouir ou le remords est-il stérile?
- Le repentir est-il nuisible et sans valeur éthique, comme l’affirme Spinoza, ou au contraire une vertu comme l’affirme le christianisme?
- Le repentir suffit-il à laver et absoudre ?
- La repentance des Etats est-elle une comédie, une action de «communication.» ou peut-elle, au moins partiellement, panser les plaies des victimes ou de leurs descendant ?
FIN
ANNEXE CITATIONS
Citations de Spinoza : le remord est la morsure de la conscience
. Regret : Le regret est une espèce particulière de tristesse. Il est toujours joint à quelque désespoir et à la mémoire des plaisirs que nous a donnés la jouissance. Nous ne regrettons jamais que les biens dont nous avons joui.
Remords : Le remords est une passion qui naît de la précipitation. Il est causé par le doute sur la bonté ou la mauvaise de nos actions.
Repentir : Le repentir est une passion qui naît de la précipitation. Il est causé par la réalisation que nous avons fait quelque chose de mal.
de Nietzsche :
"Le remords est comme la morsure du chien sur la pierre : une bêtise
Pour Nietzsche, le remords est bien entendu illégitime dès sa fondation même. Le point de remords est que si un individu fait du mal à un autre/commet un crime, il ressentira de la tristesse pour ses actions. Nietzsche le rejette.
Comment comprendre, d'une part, l'inconsistance du remords pour le philosophe à l'esprit libre - celui qui s'est affranchi de l'illusion du libre arbitre ? Et, d'autre part, où trouve racine la mauvaise conscience, "cette plante la plus étrange et la plus intéressante de notre flore terrestre"
Je considère la mauvaise conscience comme la profonde maladie dans laquelle l’homme devait sombrer sous la pression du plus radical de tous les changements qu’il ait vécu de manière générale – le changement qui survint lorsqu’il se trouva définitivement prisonnier de l’envoûtement de la société et de la paix. Ce qui se produisit de toute nécessité pour les animaux aquatiques lorsqu’ils furent contraints soit de devenir animaux terrestres, soit de périr, ce n’est pas autre chose qui arriva à ces demi-animaux adaptés avec bonheur à l’étendue sauvage, à la guerre, au vagabondage, à l’aventure, - d’un seul coup, tous leurs instincts se trouvèrent dévalorisés et « suspendus ». Il leur fallait désormais marcher sur leurs pieds et « se porter eux-mêmes » là où auparavant ils étaient portés par l’eau
Pas de différence de nature entre regrets et remords mais différence de degré
il me semble que l’adage qui encourage à avoir des remords plutôt que des regrets est directement dû au fait qu’aujourd’hui le terme remords est affaibli dans son acception. Il ne faut pas oublier que le remords (du verbe latin signifiant MORDRE A NOUVEAU) inclut une grande notion de culpabilité, un reproche violent de la conscience de celui qui vit le remords… Il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui la notion de remords soit considérablement affaibli puisque notre mode de vie, nos relations avec autrui se désinvestissent de plus en plus de toute notion de morale et même d’éthique.
Schopenhauer
Libre arbitre et remords n’existent pas
Si nous avons des remords cela veut dire que nous avons dû faire un choix quelque part.
C’est la preuve de la liberté.
Frederic Mitterrand publie ’’Mes regrets sont des remords’ ’mais c’est l’inverse : tous les remords sont des regrets mais tous les regrets ne sont certainement pas des remords
Il existe le verbe regretter mais il n’existe pas de verbe ‘’ remorder’’
Le regret c’est le désir impuissant d’une joie passée c’est un désir impuissant à cause de l’idée du passé
C’est un effort pour le faire revivre
Tire le meilleur de tes regrets ; ne réprime jamais ton chagrin, mais soigne et chéris-le jusqu’à ce qu’il en vienne à avoir un intérêt distinct et complet. Regretter profondément c’est vivre à nouveau
Les sources du regret sont le « c’est fini » ou le « c’est trop tard ».
Le remords s’oppose au regret c’est un sentiment de tristesse demandant un effort pour effacer c’est le désir que le passé n’ai pas été
C’est l’expression d’un tord qu’on aurait causé à autrui ou à soi même
Ceci nous amène à la notion de conscience morale qui est la capacité de juger nos actions en bien et en mal.
Mais selon Nietzsche le remord est la conscience de la liberté
Comentários