HISTORIQUE DE LA REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL EN FRANCE
Il y a quelques siècles, le travail comme contrainte était soit réservé aux esclaves, soit réservé aux pauvres, tandis que les élites profitaient du temps libre pour réfléchir, s’amuser, et organiser la société.
Historiquement, le progrès technique et les mouvements sociaux ont conduit à une réduction progressive du temps de travail, réglementée par l’État.
Ainsi en France, dés les années 1830, la journée de 12 heures donne lieu à de nombreuses luttes sociales. A cette époque, on travaille de 15 à 17 heures par jour.
Ces dures conditions de travail sont à l'origine d'une morbidité importante, en particulier chez les femmes et les enfants.
Un décret de 1848 fixe, pour la première fois, la journée de travail à 12 heures.
Votée le 30 mars 1900, la loi MILLERAND fixe la durée quotidienne du travail à 11 heures et organise sa réduction graduelle à 10 heures en quatre ans.
Le repos dominical obligatoire est acquis en 1906.
La loi de 1919 institue la journée de 8 heures, sur la base générale de 6 jours de travail par semaine.
La loi de 1936, menée par le Front Populaire, impose la semaine de 40 heures.
46 ans plus tard, sous Mitterrand, en 1982, la semaine de 39 heures est adoptée.
Les lois Aubry de juin 1998 et de janvier 2001 instituent la semaine de 35 heures.
Dans les faits, beaucoup de personnes passent plus de 40 heures par semaine sur leur lieu de travail, notamment les cadres et les indépendants.
Il faut ajouter que le travail génère encore d’importantes inégalités en terme d’espérance de vie. On sait par exemple, qu’un ouvrier vivra en moyenne 6 ans de moins qu’un cadre. Donc dans de nombreux cas, travailler moins, c’est vivre mieux, et c’est en tout cas vivre plus longtemps.
A l'échelle mondiale, ce sont les mexicains, les costaricains et les sud-coréens qui travaillent le plus. Ceux travaillant le moins, sont les allemands, les norvégiens et les danois.
Cent ans après la création du week-end, la semaine de quatre jours s'invite dans le débat public à la faveur d’expériences menées en France et à l’étranger. Entre réponse au chômage de masse, bien-être et avantages écologiques, les arguments en faveur de la réduction du temps de travail trouvent de plus en plus d’écho.
Un certain nombre d'entreprises à travers le monde sont récemment passées à la semaine de 4 jours. Ce n'est pas une idée nouvelle mais il semblerait que depuis la pandémie du COVID, nous ayons généré une large réévaluation de notre façon de travailler, incluant le télé-travail.
L'Arabie saoudite, la Nouvelle-Zélande et le Japon se convertissent progressivement à la semaine de quatre jours. La Belgique vient de lancer une réforme en ce sens.
BENEFICES DE LA SEMAINE DE 4 JOURS
Le but essentiel de la semaine de 4 jours est d'améliorer la qualité de vie des employés tout en maintenant leur niveau de salaire.
En ayant 3 jours de repos, les gens ont plus de temps pour la famille, les amis, pour les rendez-vous médicaux, le développement personnel, pour se former, s'éduquer, pour voyager, se consacrer à leurs passions, pour améliorer leur logement.
Il y a également des avantages pour les employeurs :
- Augmentation du chiffres d'affaire, meilleure productivité
La société Microsoft au Japon, a offert le vendredi en congé payé à ses employés et a vu sa productivité augmenter de 40%
- Moins d'absentéisme et moins de démissions.
Considérés et respectés, les salariés sont alors plus enclins à rester travailler pour l'entreprise, ce qui évite les départs volontaires.
Chez les employés qui travaillent moins et ressentent moins de stress, on enregistre une baisse de 15% des arrêts maladie.
- Moins de coûts de fonctionnement.
On pense bien sûr d'abord à l'électricité qui peut baisser de 23% mais aussi aux impressions papier, à la consommation d'eau, etc
- Plus de choix de postulants aux offres d'emploi
Plus globalement, une semaine de travail plus courte, améliore les conditions environnementales, réduit les déplacements et les embouteillages. Selon une étude suédoise, diminuer son activité professionnelle de 20% contribuerait à baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 16%.
L'ASPECT PHILOSOPHIQUE
Du latin tripalium, qui désigne un instrument de torture, le travail définit toute activité de transformation de la nature dans un sens utile à l’homme, c’est-à-dire ayant pour but la satisfaction de ses besoins. Ce qu’indique l’étymologie, c’est l’effort, la pénibilité, voire la souffrance qui se trouve associée à cette activité.
Le travail peut se définir de manière globale comme une activité forcée qui permet à une personne de gagner sa vie. Vivre mieux en travaillant moins signifierait que la réduction du temps de travail suffirait à l’individu pour augmenter la valeur ressentie de son existence, c’est-à-dire à être plus heureux.
Le travail et le bonheur sont communément perçus comme étant antinomiques. L’individu contemporain en particulier, semble identifier le bonheur au loisir et à la consommation, des activités dont il peut cependant jouir grâce à la rémunération tirée de son travail.
Celui-ci s’oppose plus simplement au bonheur en tant que nécessité économique. La production et la consommation sont défintivement liées : il faut produire pour consommer – c’est là un impératif à la fois économique et moral ; réciproquement, il faut consommer pour régénérer la force de travail, et être ainsi capable de produire à nouveau. Or, ce cercle confine, dans certaines conditions, à l’esclavage.
Félicité de Lamennais, prêtre philosophe, affirme ainsi en 1839, dans "De l’esclavage moderne", que le capitalisme industriel rétablit une situation d’esclavage de fait, en exploitant les travailleurs. Si la situation juridique du prolétaire est meilleure que celle de l’esclave de l’Antiquité, sa condition réelle est, à la vérité, inférieure. Alors que la location de sa force de travail le met en concurrence avec une armée de travailleurs, ce qui pousse son salaire jusqu’au minimum vital, l’esclave représentait, lui, un investissement qui incitait le propriétaire à prendre soin de lui. Le travail moderne ressemblerait donc à un esclavage dont l’homme aurait intérêt à se libérer, en travaillant moins, pour vivre mieux.
Pour l’individu, enfin, cette forme d’esclavage peut s’avérer déshumanisante. Le travail s’opposerait donc plus profondément au bonheur parce qu’il priverait le travailleur de toutes les possibilités que sa vie d’humain lui offre. En le condamnant à souffrir chaque jour pour obtenir sa subsistance, il le réduirait à la condition d’une machine, d’un objet, et lui ferait ainsi perdre sa dignité humaine. Karl Marx montre dans "Le Capital", que c’était notamment le cas lors de la révolution industrielle du XIXe siècle, où d’innombrables ouvriers travaillaient toute la journée à la chaîne, comme des machines, dans les usines, et ne recevaient en échange qu’un salaire de misère. Les travailleurs étaient en effet les perdants de la révolution bourgeoise : leur travail a perdu tout attrait dans le capitalisme industriel à cause du développement du machinisme et de la parcellisation des tâches. Il est devenu de moins en moins bien payé et de plus en plus pénible, en raison de l’augmentation continue des cadences de travail.
Ainsi, le travail semble s’opposer au bonheur dans la mesure où il cause une souffrance et où il créerait une forme d’esclavage mettant en danger la dignité humaine. Il n’est pas pour autant certain que travailler moins serait vivre mieux.
En effet, le loisir ne peut pas être la condition unique du bonheur. Être libéré, en partie ou totalement du travail, demanderait alors d’être capable de convertir le loisir en bonheur, ce qui ne semble nullement évident. Le bonheur est, pour différents courants philosophiques, le Souverain Bien qui dépend d’une pratique morale. Dans l’Antiquité, l’épicurisme proposait par exemple une philosophie du loisir axée sur le dosage des plaisirs. Épicure définit la véritable sagesse comme la capacité à doser le plaisir au nom même du plaisir, car l’excès de plaisir, dans la surenchère ou le raffinement, menace de se transformer en souffrance.
Travailler moins n’apparaît pas non plus comme la solution évidente pour empêcher l’homme de se rendre lui-même malheureux. Bien au contraire, libéré du travail et égaré dans le temps du loisir, l’individu peut devenir prisonnier de ses propres démons, à tel point que le travail se révèle finalement comme un moindre mal par rapport à une liberté dépourvue de sens. La philosophie antique a également donné une réponse à cette éventualité en recommandant à l’homme de maîtriser ses passions pour vivre mieux.
À y regarder de plus près, un surcroît de loisir n’engendre pas systématiquement un surcroît de bonheur, car cet état ne semble pouvoir être conquis que par différentes formes de sagesse. Ce constat laisse à penser que le travail et le bonheur ne sont pas foncièrement antinomiques.
L’idée selon laquelle il faut réduire, voire même arrêter le travail pour être plus heureux semble toutefois négliger ce que cette activité peut apporter à l’humain. Le travail pourrait-il manquer à celui qui s’en détourne ?
Dans quelle mesure le travail s’oppose-t-il vraiment au bonheur ?
Travailler plus est dans certains cas une manière de vivre mieux.
Le travail de l’artiste, par exemple, contribue à son bonheur. Comme s’exprimer par l’intermédiaire de son art est la condition de son épanouissement, les tâches, parfois ingrates et rébarbatives, nécessaires à la production de l’œuvre, contribuent paradoxalement, elles aussi, à rendre l’artiste heureux. Dès lors, certains artistes, écrivains, peintres, dramaturges, etc., sont capables de consacrer la totalité de leur temps à leur œuvre.
Le travail peut être perçu plus généralement comme une activité libératrice permettant à l’individu de conquérir son bonheur. Entre les tâches de l’ouvrier placé sur une chaîne industrielle et l’épanouissement quasi mystique de l’artiste, il existe tout un éventail d’activités dans lesquelles l’homme peut trouver différentes formes d’accomplissement : créer, mener à bien un projet, progresser en équipe, acquérir de nouvelles compétences, etc. Dans cette perspective, le travail est le moyen d’une transformation intérieure qui doit permettre de vivre mieux.
Cette dimension peut être présente dès le départ lorsque le travail est vécu comme une vocation. Issue du verbe latin « vocare » qui signifie « appeler », la vocation exprime l’idée selon laquelle l’individu se sent irrémédiablement appelé à exercer une tâche, une mission, un art ou une profession, car il ressent une profonde correspondance entre l’activité et son identité, ses aspirations, voire son âme.
Il y a également d'autres travailleurs qui considèrent le travail autrement qu’un calvaire et qui offriraient volontiers plus de temps de leur vie au travail.
Le passionné qui considère son travail comme un loisir. Le travail pour lui est un espace de relâchement et une source de plaisir.
Il y a aussi le responsable, le bénévole, pour qui le travail est un devoir pour sa communauté, voire pour l’humanité, donc un impératif sociétal qui dépasse sa seule personne.
Enfin il y a l’ambitieux, celui qui considère le travail comme un défi à relever pour affirmer sa volonté, c’est un perfectionniste qui exige la meilleure qualité possible.
Si l’on évite les pièges tendus par la société des loisirs, on peut donner un sens au temps libéré et arriver à construire son existence. En définitive, travailler moins c’est vivre mieux, si et seulement si, l’être humain qui prend cette décision possède en lui-même la force de vivre et d’exister entièrement.
Comme le souligne Pascal, "tout le malheur des hommes est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre". Il nous faut en effet nous divertir au sens pascalien afin d'oublier notre condition misérable de mortel et le cycle travail-désir-consommation est un moyen justement de regarder ailleurs.
Travailler, c’est s’émanciper de sa condition, c’est conquérir son autonomie, choisir son destin, construire la réalisation de soi et s'épanouir.
Le souhait de ne plus travailler pour consacrer sa vie entière à jouir sans entraves n'est pas assurément compatible avec une vie heureuse. Par ailleurs, étant un être de désir, il paraît illusoire de réduire l'homme à l'assouvissement de ses seules fonctions vitales, l'ennui pouvant constituer un ennemi plus redoutable que le travail. Ainsi, comme le résume si bien Voltaire dans Candide : "Le travail éloigne de nous, trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin".
Le travail souffre de son association avec l'idée d'une activité à la fois désagréable et pénible. Bien souvent, cette association se trouve légitimée du fait des mauvaises conditions dans lesquelles celui-ci est effectué et d'autre part, de sa finalité qui bien souvent conduit à la satisfaction de désirs factices, produits par la société de consommation et qui ne favorisent pas l'épanouissement individuel. Cependant, le travail peut aussi être un facteur de réalisation de soi : il favorise l'insertion sociale et dans certains cas, constitue une activité où la créativité et l'intelligence de l'homme sont sollicitées.
Si la diminution du temps de travail apparaît logique eu égard au développement du progrès technique et à l'accroissement de la productivité, il n'est pas nécessairement souhaitable que le travail disparaisse au sens où il participe de l'essence de l'humain. En outre, si vivre mieux peut passer par moins de travail pris dans son sens négatif d'activité aliénante, il ne passe pas forcément par son contraire, à savoir plus de loisirs, d'où la nécessité de trouver un équilibre entre ces deux activités, mais aussi de réfléchir aux conditions qui les rendent réellement enrichissantes sur le plan humain
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